A quelques jours de l'arrivée en Guyane, Patrick Hoyau, vainqueur de l'édition 2009, rappelle à Pascal Vaudé, le leader de la course : « tant que la ligne n'est pas franchie tu n'es pas premier ».
Photo Christophe Lucas / Skipper Pierre Verdu - Mardi 28 février 2012
Les niouzes du jour, par la Bouvet-Guyane :
Après 30 jours en mer, on entend la fatigue dans les mots des rameurs. D'autant que comme indiqué hier, le week-end a été musclé. Ça leur a rappelé de mauvais souvenirs quand une semaine après le départ de Dakar plusieurs bateaux ont chaviré. Fort heureusement personne n'est passé sur le toit cette fois, mais l'épée de Damoclès continue à peser sur leurs épaules, car des conditions périlleuses - vents forts associés à des courants violents - peuvent se manifester en approche de la Guyane. Même Pascal Vaudé à qui la victoire tend les bras conserve une grande réserve. Patrick Hoyau, le vainqueur de l'édition 2009, lui a encore rappelé hier : « tant que la ligne n'est pas franchie tu n'es pas premier ». Le skipper de Marine & Loisirs acquiesce bien volontiers. Il voudrait simplement faire la bise à sa belle-mère avant qu'elle ne quitte Cayenne le 6 mars.
Cinq dans un mouchoir. Tandis que Pascal Vaudé poursuit son cavalier seul au rythme qu'on lui connaît (A 12 h TU, il était à 512 milles du but), cinq canots se bataillent l'honneur du podium. Leur route est désormais parallèle cap à l'ouest. Ceux situés les plus au sud devraient toucher le courant de Guyane avant les nordistes, mais tous les cinq affichent actuellement une progression similaire et la distance les séparant du but se réduit au fil des jours. A 12 h TU, elle était de seulement 15 nautiques entre Alein, le plus au sud, Besson décidément pressé et Hidair juste en dessous. A la même heure, Dupuy, 5ème, affichait la meilleure vitesse et Verdu, 6ème, achevait de compléter ce quinté dont personne n'oserait s'aventurer à donner l'ordre d'arrivée. Du second au septième l'écart au but n'est que de 37 milles. Ca promet du suspens à Cayenne la semaine prochaine.
Pierre Mastalski, alias Pierre de Mauvilac, pointé en 11ème position à une quinzaine de milles de Christophe Letendre (Thermience) : « La journée a été compliquée hier : une mer croisée comme je n'en avais jamais vu et des grosses vagues. Pour te donner un ordre d'idée, j'ai battu par trois fois mon record de vitesse, 8.7, 9.4 nds et pour finir une pointe à 10 nds en surfant sur une vague. J'ai aussi pris plusieurs fois ces grosses vagues de côté et ça m'a valu des coups de gîte impressionnants. Il fallait vraiment se botter les fesses pour retourner au poste de rame. Avec comme de bien entendu des petits soucis collatéraux : le temps est abonné au gris. Ce qui signifie peu de lumière et donc des batteries au plus bas. Ce qui ne manque pas de m'inquiéter pour la fabrication d'eau douce. Pour le reste, mes fesses sont au même niveau babouin. Ainsi soit-il et ce jusqu'à l'arrivée ». Et comme d'habitude Pierre qui garde un excellent moral lance un grand bonjour à Madame Dupire, la prof de sa fille et aussi à Nathan, en école de CE 2, dont c'est l'anniversaire aujourd'hui et à Muriel Aupiais son enseignante. Pierre roule à l'économie en attendant le retour du soleil pour recharger ses batteries.
Guillaume Bodin (Pink boat), classé 14ème entre le Grain de Sel de Marc Chailan et Le Championnet de Saïd Ben Amar : « J'attendais des conditions costaud pour aujourd'hui, mais elles sont arrivées hier et ça a bien remué avec des mers croisées, des bourrasques de vent et de la pluie forte. Le bateau prenait de grosses accélérations sans même que je rame. Je ne pouvais d'ailleurs plus agir sur les avirons au plus fort des grains... Quand tu plantes l'aviron, tu ne sais pas quel bras va prendre en premier. Je ne déteste pas ces conditions musclées mais il y avait matière à se faire peur. J'ai failli me retourner ». Guillaume a nettoyé la coque de son canot qui en avait grand besoin, mais à l'inverse de ses collègues de Transat, il n'a pas aimé la plongée : « J'avais une sorte d'angoisse à me retrouver seul sous la coque au beau milieu de l'Atlantique. Le nettoyage a été express et il m'a fallu une dizaine de minutes pour reprendre mon souffle quand je suis remonté à bord». Tout va bien pour le « montagnard » qui a prévu de mettre cap à l'ouest ces jours-ci, sauf cette tendinite au coude droit qui commence à être douloureuse malgré la prise d'anti-inflammatoires. « Il va bientôt ne plus m'en rester et il faudra bien faire sans. Pour le moment, je n'ai pas de problème de batteries, mais il ne faudrait pas que le soleil joue à cache-cache trop longtemps ». D'autant qu'il faudra faire des réserves d'eau avant l'approche sur Cayenne car elle est limoneuse et le « désal » risque de ne pas apprécier.
Marc Chailan (Grain de Sel), 13ème : « Je suis content d'avoir atteint le 5ème degré de latitude nord car ça me permet de bénéficier d'un courant plus favorable. La mer a été chahutée hier matin. Par deux fois, le bateau s'est mis sur la tranche et j'ai bien cru que j'allais faire un tour complet ». Comme les autres, l'Ardéchois se plaint du ciel gris et de l'absence de soleil nuisible au fonctionnement de ses consommateurs d'électricité. Pour preuve, hier il a navigué tout l'après-midi torse nu et il n'a pas pris de coup de soleil. Les batteries sont dans le rouge : « j'ai juste de quoi faire un peu d'eau et charger le téléphone. A part ça tout va très bien : je rame et j'essaye de ramer de plus en plus ». « Actuellement ma dose quotidienne aux avirons se situe en 7 et 9 heures par jour avec des cessions d'environ une heure et 30'. Maintenant que le bateau avance mieux à la dérive grâce au courant je me dis qu'on peut ralentir un peu la cadence pour garder ses forces en vue de l'arrivée qui a la réputation d'être exigeante ». Et puis la course reprend naturellement le dessus ; Alain Pinguet, 15 milles devant, est dans le collimateur. « J'aimerais le rattraper. On a bien sympathisé à Dakar avant le départ ».
Eric Lainé, 7ème sur Solirames : « On a eu plusieurs grains ces derniers jours pas si violents mais suffisamment pour nous mettre en défaut car c'est difficile de ramer dans ces conditions notamment la nuit qui dure près de 12 heures à notre latitude. Dans la nuit de dimanche à lundi, le vent m'a poussé dans le sud et par deux fois j'ai failli aller au tapis et du matériel s'est cassé à l'intérieur. Cet intermède musclé vient nous rappeler que la priorité est quand même d'arriver de l'autre côté quelque soit la place et ce n'est pas facile ». Eric a quand même pu récupérer de l'eau de pluie durant les orages, ce qui a bien amélioré l'hygiène ordinaire, comme le simple fait de se passer de l'eau douce sur le corps. Un vrai luxe qui préfigure la vraie douche tant attendue à l'arrivée, sans oublier le diabolo menthe dont Eric savoure dans ses rêves les plus fous la pétillante saveur. L'eau du ciel se récupère au compte-goutte et demeure une denrée rare. Elle sert tout à la fois au lavage des dents puis au rinçage des chaussettes et à d'autres choses encore.
Pierre Verdu, 6ème, n'a pas de problème particulier : « j'ai de l'électricité, je fais de l'eau douce autant que je veux, je mange avec un (très) bon appétit. Je n'ai pas mal aux mains ni aux pieds, je n'ai pas d'ampoules... Il y a juste les muscles fessiers qui se font sentir ». Bref le Guyanais est en pleine forme et le fait savoir en tenant une cadence soutenue. Pourtant, le skipper de La Fileuse insiste : « Je n'ai pas d'ambition sportive. Il m'est indifférent de finir dans le trio de tête ou plus. La seule chose qui m'importe est d'arriver avant le 10 mars car ma fille est là et beaucoup d'amis m'attendent. Et si j'arrive en même temps que les autres, ce sera vraiment la fête. Pour te dire, je suis prêt à mouiller sur la ligne d'arrivée pour attendre des copains rameurs. Ma victoire est d'achever la traversée et si je peux le faire avant le 10 mars, ça m'arrange ! » Pierre est soutenu par ses routeurs qui lui ont indiqué de forcer sur les bras « tellement qu'aujourd'hui je suis fatigué », réagit-il. Il est très suivi et encouragé par de jeunes écoliers et leurs professeurs. « Je reçois de 17 à 20 messages tous les jours et ils me disent tous : vas-y, vas-y... Comment veux-tu que je baisse les bras ? »
Pascal Vaudé, 1er sur Marine et Loisirs avec deux jours d'avance sur le second : « Mon objectif au départ était de revivre une belle traversée comme en 2009 et puis c'est une autre traversée qui s'est proposée à moi. Rapidement je me suis retrouvé dans le peloton de tête et après une semaine je suis devenu le poisson pilote. Depuis, je vis le stress de la première place : ça n'a rien à voir avec ce que j'avais prévu. D'ailleurs je n'utilise pas ma canne à pêche. Je me régale du spectacle des daurades. Je rame, je rame... avec les oiseaux au-dessus qui braillent avec l'espoir de récupérer un morceau de poisson volant. Nous avons eu des conditions météo plus favorables, heureusement ». On comprend que Pascal le contemplatif a endossé depuis plusieurs semaines la casaque du compétiteur. « En 2009 je vivais dans une aventure océanique. Là, je vis dans une course... C'est le stress du leader qui change tout, d'avoir constamment l'œil sur ceux de derrière ». Pascal, à l'instar de son ami Pierre a aussi une obligation familiale qui le presse à pousser sur ses avirons. C'est sa belle-mère, actuellement à Cayenne pour aider sa femme à gérer les trois petiots. Elle doit partir le 6 mars. Et le gendre aimerait bien lui claquer la bise avant qu'elle ne s'en aille. « Tant que la ligne d'arrivée n'est pas franchie, tu n'es pas premier », lui a encore indiqué hier Patrick Hoyau, le vainqueur de la Bouvet Guyane 2009. « Je suis complètement d'accord », lâche Pierre qui reste concentré sur sa trajectoire et les 500 derniers milles à parcourir.
CLASSEMENT DU JOUR : A 14 H TU
1. Pascal Vaudé
2. Jean-Emmanuel Alein
3. Julien Besson
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