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Je prépare un voyage. Je le vois pas trop long : quelques semaines. Il me faudra travailler car en partant sans économie je prends un risque financier. Au fond de moi, je prépare ce voyage pour échapper à une réalité : mon célibat. Je suis en quête comme chacun d’un binôme, d’un homme. Je le vois fort, grand et fier, amoureux de moi et capable d’assumer être avec moi. Je l’imagine en ce moment en quête d’une femme sensible intelligente et seule. Au fond, je suis comme beaucoup de gens de mon âge. Je ne comprends pas toujours les attentes des hommes que je rencontre. Vivre les uns avec les autres et plus les uns à coté des autres. J’attends. Ca viendra. »
Je vous rapporte les paroles d’une jeune femme, arrivée en Guyane pour progresser socialement. Elle fait partie des intellectuelles de Guyane sans être guyanaise. Elle vit ici depuis 9 ans. Son histoire est courante et banale.
Nous sommes dans une société où l’émancipation de chacun est responsable en partie de la désunion des personnes. Dans mon exemple : socialement, « je » n’ai besoin de personne, mais intiment « j’ »ai besoin d’un homme.
La jeune femme est de culture métropolitaine et ses voyages la confrontent à des avancées sociétaires qui ne sont pas les siennes. Ici, son schéma exclusif de la relation homme femme se trouve face à un schéma libertin. Comment dès lors faire se concorder ambitions intimes et ambitions sociales ? Ces ambitions personnelles n’étant plus socialement acceptables dans son nouveau mode de vie.
Cette jeune femme va repartir. Pourtant c’est une intellectuelle au sens où vous l’entendez. Pourquoi ne s’exprime-t-elle pas ? L’avancée culturelle ne peut pas exclusivement venir des nomades qui passent en Guyane. Elle doit être une volonté de la population locale, sur tous les sujets autres que celui de la structure familiale. Je précise que j’ai pris cet exemple car, n’oublions pas, ce noyau est base de notre société, métropolitaine ou guyanaise. Je suis tout à fait dans la pensée « du contrat social » de J.J. Rousseau : la hiérarchie familiale pour base de la hiérarchie de la société. Le célibat est trop courant et devient un problème de société.
Parler d’une population guyanaise … Il faut parler des peuples guyanais. C’est en cela que, trop habitués à se côtoyer, les peuples ne cherchent aucun moyen d’émancipation globale pour la « cohésion d’une région » et pour « se donner des objectifs communs ».
Le nomade, habitué à une intégration parfois partielle, repart. Cependant, la richesse des uns et des autres se perd.
Qui connaît le savoir du grand-père Saramaca en médecine douce ? Qui connaît la volonté d’une jeune Boni de faire des études supérieures ? Qui peut prétendre à une indépendance du département sans les emplois d’Etat ?
Nous avons besoin des uns et des autres au-delà de la courtoisie de convenance commune à nos sociétés. Et même si, au moins, celle-ci permet à chacun de mener sa vie sociale, elle n’est pas suffisante à une avancée sociétaire qui concorderait avec les ambitions intimes de chacun. C’est à chacun de modifier son comportement quotidien pour que les peuples soient un peuple, sans perdre leurs originalités.
Les politiques reflètent la division du public. Quand, à l’échelle de l’individu, le respect de son père, de la culture de son voisin, dans une même ethnie, une même couleur, une même langue, ou justement pas dans une même ethnie, une même couleur, une même langue... quand ce respect se fera individuellement alors les besoins des uns et des autres seront mieux compris et peut être même seront communs !
Les votes de nos concitoyens se feront réellement pour une communauté guyanaise. Les intellectuels ne doivent pas être seuls à l’origine du changement puisque celui-ci doit émaner de la base de la société : l’individu, sa famille, ses amis… une idéologie n’étant qu’un moyen.
Edwige Andouard
edwige@blada.com
PS. C'est très amicalement que je réponds à la chronique de René Ladouceur "L'insoutenable silence des intellectuels" découverte sur le site Blada.
Cette réponse est écrite "à chaud" et en toute modestie car je ne pense pas faire partie des intellectuels de Guyane ! Mais simplement j'ai un avis sur la façon dont la société guyanaise pourrait évoluer face à la difficulté posée par la particularité polyethnique du peuple guyanais.