Jodla 12/04/06
En quinze secondes, vous êtes remis au monde
Pierre Debauche était au Lycée Monnerville de Kourou, lundi, pour une représentation "en famille" de ses "Chansons inhabituelles" avant l'utime spectacle à L'Encre mercredi.
« Je suis le brouillon de moi-même, des fois j'ai du mal à me relire ». Cette "chanson courte", comme la nomme Pierre Debauche, n'est pas loin de résumer à elle seule ce quasi personnage de légende, à mi-chemin entre monument historique et artiste écorché vif à la recherche de la perfection. «J'ai jeté mes idoles après les avoir adulées pour arriver à l'épure», dit-il. Créateur en 1965 de ce qui deviendra plus tard un des temples de la contestation, le Théâtre des Amandiers de Nanterre, Pierre Debauche semble avoir fait le tour de la vie et du théâtre.
Infatigable créateur (à l'origine d'une quinzaine de théâtres), comédien et chanteur accompli, il sait qu'il peut tout se permettre, tous les caprices et tous les excès, il sait que le public avec lequel il partage intensément ses sentiments, ses cris d'amour et de rage, le suivra sur le chemin de la fantaisie, parce que le talent est omniprésent. «Malheureusement, j'ai des projets pour trois cents ans et j'ai très peu de temps devant moi», confie-t-il entre deux chansons. Pas de sono, juste accompagné du pianiste Stéphane Barrière, «un mélange de Mozart et de Steevie Wonder», il raconte et chante tour à tour sa vie, le monde, ceux qu'il a aimés (Truffaut, Piaf, Barbara, Aznavour), sur des textes de sa composition, où l'apparente improvisation est en réalité savamment travaillée, orchestrée, la voix posée avec une infinie justesse.
Avec le comédien guyanais Grégory Alexander, il chante "Je t'aime", et rappelle qu'avec Grégory il a joué Andromaque de Racine à l'opéra du Caire.
« Le racisme n'est pas près de s'arranger », dit-il, « il y a des pesanteurs de plus en plus lourdes, alors je propose la courtoisie, je suis un prêcheur de courtoisie.»Dans la salle, les jeunes sont subjugés, ils regardent intensément ce vieux monsieur assoiffé de vie qui les surprend et les enchante, et certains commencent à chanter avec lui. Ils viennent de découvrir une autre planète. Et Pierre Debauche leur parle d'un grand poète guyanais qu'il a découvert et dont ils n'ont jamais entendu parler, Gilbert Kramer, et il lit le poème, butant sur tous les mots créoles, mais qu'importe : il aime et il le dit bien fort.« Je suis une des rares personnes que je connaisse », dit Pierre Debauche « à connaître plus de six cent chansons. Je chante tout le temps.»
Chansons courtes, inhabituelles... et inoubliables : « En quinze secondes, vous êtes remis au monde.»
A L'Encre, Cayenne, mercredi 12 avril
Blada, avril 2006
N.d.E.
Deux ouvrages et un cd du spectacle de Pierre Debauche devraient être disponibles à L'Encre.
Le poète Gilbert Kramer a été publié aux éditions Anne C, in Traversée de la poésie guyanaise.
Pierre Debauche et son jeune public du Lycée Monnerville (photo Isabelle Niveau)
Au centre le pianiste Stephane Barrière, en haut à droite Grégory Alexander.