Ici comme ailleurs, il est bien difficile d'échapper à la manipulation et à la vulgarité. Côté métropole, la presse est envahie par les projections de testostérone de la droite égotique(Le Figaro, Rue89), et nous par les miss. C'est quand même mieux, tout en restant bien indigeste. Ce lundi, notre unique quotidien faisait sa Une avec Miss interlycées en pleine page, et un encadré renvoyait sur deux pages consacrées à la fête de Kourou : « Entre visites de chantiers et animations podium, il y avait de quoi faire, ce week-end, dans la ville spatiale ». Le grand artiste amazonien John Lie A fo, qui présentait à Saint-Laurent une rétrospective de 30 années de créations éblouissantes, a dû se contenter d'un article assassin en page 2. Et le braquage de la pépinière de Kourou de samedi a été torché en cinq petites lignes en page 3 dans un résumé inexact.
« Il ne prononce jamais une parole qui sente l'intellect. Il est le type de l'anti-intellectuel. Le type d'un individu chez qui le génie se présente sous forme d'acte pur et irréfléchi, résultant d'une sorte de bêtise divine », écrivait Cocteau à propos de Picasso (Le Point). A coup sûr, John Lie A Fo ressemble à son maître, jusqu'à piéger le journaliste de France-Guyane qui n'a eu pour l'oeuvre inspirée de l'artiste aucun regard sensible, et qui le questionne sur l'argent, sur son nom asiatique, sur son déficit de popularité en Guyane*. L'honneur de John Lie A Fo est d'avoir été capable de créer en toute liberté sans jamais rien devoir à personne, et d'avoir réussi à faire vivre sa famille de son immense talent artistique durant trente années. Il faut être bien "hermétique", ou habitué à interviewer des gens gavés de subventions, pour ne pas voir et comprendre que, derrière le discours matérialiste, il y a l'artiste qui se bat pour survivre et qui par son oeuvre questionne inlassablement la société. (L'exposition de John Lie A Fo a quand même eu droit à une petite séance de rattrapage dans l'édition du 28 novembre.)
Quant au braquage de la pépinière, le samedi matin de ce week end de fête de Kourou sous haute surveillance policière, il n'a pas été commis par deux hommes armés et cagoulés comme l'écrit France-Guyane dans sa brève, mais par quatre hommes cagoulés dont deux armés de pistolets qui sont entrés à pied dans la pépinière, vers 11h30, après la fermeture. Ils ont menotté le directeur et saisi la recette d'une semaine. Pour la petite histoire, les menottes ont été ouvertes par les gendarmes, avec leur clef. Un jardinier qui se trouvait dans la pépinière n'a rien vu ni entendu, et une voisine a vu partir tranquillement les quatre hommes à pied après leur forfait. Un braquage tranquille en quelque sorte...
Elections de miss Kourou : une miss et deux dauphines, on ne pouvait pas faire davantage puisqu'elles n'étaient que trois à se présenter... Qu'importe, ça brille quand même ! et ça ouvre l'horizon pour Miss Guyane et Miss France (Public glam Awards et Plurielles).
Et on fait mine de s'étonner ensuite que Audrey Marie ne veuille pas s'expliquer sur son départ de Walwari, ni auprès de RFO-Guyane1 ni auprès de France-Guyane ! Alors que son silence est autrement plus lourd que toutes les paroles qu'elle aurait pu prononcer, reproduites n'importe comment, sur ce départ qui vide Walwari de sa substance et de son humanité à l'issue d'innombrables vexations.
Et personne en Guyane pour relever que Taubira devenue ministre découvre la discrimination à propos d'un juge au nom juif (Le Parisien), elle qui - alors députée - n'avait pas rien trouvé à redire quand la déléguée aux droits de la femme en Guyane avait traité son ex employé de « salopard de Guyanien ».
Contentons-nous de ce que nous avons puisque nous n'avons pas beaucoup d'espoir d'avoir mieux... Mais ouvrons grand les yeux, et essayons de ne pas épuiser notre stock de faculté d'indignation. Pas facile !
OF
* Parmi les questions malveillantes posées par P.Y. Carlier à John Lie A Fo : « De quoi êtes-vous le plus fier ? D'avoir exposé aux Etats-Unis ou d'être exposé dans un magasin de souvenirs de Paramaribo ? »
Le « magasin de souvenirs » en question n'est autre que la Readytex Art Gallery de Paramaribo.
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