Alors que la composition du futur gouvernement donne encore lieu à toutes sortes d'hypothèses et même à quelques délires (voir sur le site du Point "Cest quelqu'un qui m'a dit"), il faut bien poser la question qui fâche depuis des décennies. La France continuera-t-elle à couvrir cette politique honteuse menée en l'Afrique, « les tripatouillages constitutionnels, les hold-up électoraux, les biens mal acquis, le siphonage des ressources nationales par les potentats locaux, les coups d’Etat téléguidés depuis les officines occultes élyséennes ». Parce que les discours ne suffiront pas, et que la sinistre réalité est toujours là, c'est Lawœtey-Pierre Ajavon qui s'attèle à la tâche, en posant à François Hollande cette question qui dérange la gauche autant que la droite :
Lettre ouverte à Monsieur François Hollande, Président de la République française.
Par Lawœtey-Pierre Ajavon (Enseignant-chercheur en histoire et anthropologie en Polynésie Française).
Monsieur le Président de la République,
Permettez-moi de commencer cette lettre, monsieur le Président de la République, par un bref rappel. Le 10 mai 1981, un peu plus de trente ans jour pour jour, feu François Mitterrand devenait par la volonté du peuple français souverain, le premier Président socialiste de la Cinquième République.
Comme il se devait, le « peuple de France » en liesse, célébra ce jour-là l’événement sur la Place de la Bastille, haut-lieu s’il en était, des libertés et droits fondamentaux de la République depuis quatre siècles. Nous étions tous là, ressortissants des ex-colonies françaises d’Afrique et d’ailleurs, afin de communier dans la même ferveur avec tous les Français et partager avec eux cette victoire.
A l’époque, nous nourrissions tous secrètement l’espoir qu’avec l’arrivée d’un nouveau président de Gauche, la France allait enfin inaugurer avec nos pays d’origine de nouveaux rapports plus sains, plus normaux, respectueux des hautes valeurs chères à la « Patrie des Droits de l’Homme », en rompant avec son vieil esprit paternaliste et condescendant. Attitude que feu le Président Ivoirien Houphouët-Boigny avait naguère pudiquement nommé la « Françafrique ». Dix ans plus tard, en juin 1990, le discours de La Baule du Président Mitterrand venait conforter et surtout légitimer notre souhait de voir définitivement classer dans les pages sombres de l’histoire de France les relations incestueuses et politico-mafieuses mises en place depuis un demi-siècle par feu Jacques Foccart, ex-conseiller aux Affaires africaines du Général de Gaulle.
Mais très vite, nos prétentions démocratiques allaient buter contre les collusions d’intérêt, sous la pression de quelques potentats Africains. Cette déception se doubla d’un constat amer : même sous un gouvernement socialiste, la France des « copains et des coquins », selon la célèbre formule du Général, n’avait autant étendu ses tentacules sur le continent noir, promouvant et soutenant par voie de conséquence « l’Afrique de Papa », autrement dit, les régimes de pronunciamento et leurs nombreuses ploutocraties compradores. Le changement dans la continuité, en somme.
Monsieur le Président de la République, vous voilà donc investi nouveau Président élu de la France. De la Méditerranée à l’Atlantique, la quasi-totalité de l’Afrique a souhaité et salué votre élection. A-t-elle raison ou tort ? Il appartiendra à l’histoire d’en juger. Toutefois, les Africains qui ont exulté à l’annonce de votre victoire à Alger, Rabat, Conakry, Bamako, Abidjan, Cotonou, Lomé, Ouagadougou, Niamey, etc. sont conscients qu’aucune puissance étrangère ne peut se substituer à leurs légitimes revendications et aspirations, dans leur quête permanente pour un mieux-être.
Monsieur le Président de la République, on se souvient encore des propos de votre prédécesseur, monsieur Nicolas Sarkozy, s’adressant en 2006 à toute l’Afrique depuis le Bénin : « … A nous Français de renier tout paternalisme, d’exclure toute condescendance à l’endroit des Africains. Et surtout plus de respect. Nous ne savons pas mieux que vous quel est bon chemin. Je refuse la posture d’une France donneuse de leçons ». Hélas, ce n’était que des proclamations d’intention jamais suivies d’actes. La rupture tant promise n’engageant que ceux qui y avaient cru.
Aujourd’hui, comme Nicolas Sarkozy en 2006, vous promettez aussi la rupture - le mot est décidément à la mode chez les hommes politiques français - avec les vieilles pratiques instituées sous la Cinquième République. Vous insistez même sur la « nécessité de répudier les miasmes de la Françafrique ».
Comme lui hier, vous entendez à votre tour sortir les relations franco-africaines du « paternalisme d’antan ». Permettez-moi, monsieur le Président, de reprendre certains de vos propos au cours de votre longue interview à un grand journal africain le 3 mai dernier : « Le regard sur l’Afrique doit changer. La confiance et l’amitié qui nous lient aux pays de la rive de la Méditerranée et de l’Afrique subsaharienne est une grande chance pour la France. Mais je veux changer le regard français sur l’Afrique et rompre avec l’arrogance, le paternalisme, les collusions douteuses ou les intermédiaires de l’ombre qui ont terni la relation entre la France et l’Afrique. Je veux aussi tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés… »
Changer le regard de la France sur l’Afrique, tel est donc votre projet pour le continent. Les Africains veulent bien vous croire sur parole. Aussi, nombreux sont ceux qui, sur le continent, ont enregistré avec un grand soulagement votre prise de position claire et nette contre l’indigne et suranné discours de Dakar de Nicolas Sarkozy. Vous déclariez à ce propos au journal « les Afriques », il y a quelques mois : « Le regard français sur l’Afrique n’échappe malheureusement pas toujours aux caricatures […] Chacun se souvient du tristement célèbre discours de Dakar et des clichés sur l’homme africain insuffisamment entré dans l’Histoire. Les lecteurs de « Les Afriques » à Abidjan, Dakar, Rabat et ailleurs sont la preuve que l’Afrique bouge à toute vitesse. Mais les regards changent, et les dérapages feront à leur tour partie de l’histoire… ». Vous inscrivant dans la vielle et noble tradition humaniste des Lumières, cette courageuse prise de position a pu réconcilier la France avec le continent-berceau de l’Humanité.
Cependant, malgré le préjugé favorable dont vous bénéficiez, vous comprendrez monsieur le Président, que dans leur grande majorité, instruits par les précédents des lendemains qui ont déchanté, les Africains accueillent avec prudence et scepticime vos engagements en faveur de leur continent.
Si les plus optimistes ont pris acte de votre promesse de vous débarrasser « des formes anciennes héritées de la période post-coloniale », les plus circonspects eux se souviennent, amers, des tribulations de Jean-Pierre Cot et Jean-Marie Bockel, ex-ministres de la Coopération, respectivement sous F. Mitterrand en 1982, et N. Sarkozy en 2008. Leur point commun : désavoués, ou remerciés par leur gouvernement. Leur crime : avoir promis, selon les propres paroles de J-M Bockel, de « signer l’acte de décès de la Françafrique ».
Vous avez fait du changement votre slogan de campagne. « Le changement, c’est maintenant », dites-vous. La rupture, certes. Mais surtout le changement hic et nunc, vous répondent les Africains. Aux quatre coins du continent, beaucoup ont consenti d’énormes sacrifices, payant un lourd tribut à un hypothétique changement qui n’est jamais venu ou qui tarde encore à venir.
Vos adversaires politiques vous disent, monsieur le Président de la République, éloigné des préoccupations de l’Afrique, et même ignorant de ses réalités. Seule une minorité d’Africains concède volontiers un a priori rassurant à votre virginité africaine, en prétextant qu’elle pourrait être « le gage que vous ne considérez pas le continent noir comme le laboratoire d’expériences militaro-romantiques incontrôlées, comme un terrain de chasse conquis ou comme une résidence secondaire dont les concierges seraient des potes potentats », pour citer un célèbre site africain.
Monsieur le Président, il vous appartient donc de lever tous les doutes sur vos promesses et engagements en faveur de l’Afrique ; il vous appartient de faire mentir vos détracteurs en posant dès maintenant des actes forts et concrets en direction des habitants de ce continent.
Pour ma part, j’ose transcender mon scepticisme de circonstance- il est permis de rêver-et espérer que :
Vous Président de la République, des relations novatrices, normales et respectueuses seraient enfin nouées entre la France et les pays africains francophones, à l’instar de tous les autres pays du monde.
Vous Président de la République, la nébuleuse Françafrique déjà moribonde, serait définitivement reléguée dans les poubelles de l’Histoire, et à défaut de « signer son acte de décès », délivrer son permis d’incinérer. N’avez- vous pas déclaré récemment que vous seriez, je vous cite : « la terreur des dictateurs » ?
Vous Président de la République, la circulation des mallettes et « djembé » bourrés de billets de CFA au profit de personnalités corrompues de l’Hexagone serait définitivement proscrite, au grand soulagement des populations africaines paupérisées par de telles pratiques.
Vous Président de la République, les tripatouillages constitutionnels, les hold-up électoraux, les biens mal acquis, le siphonage des ressources nationales par les potentats locaux, les coups d’Etat téléguidés depuis les officines occultes élyséennes, ne bénéficieraient plus d’aucune complicité bienveillante ou passive, ni d’aucun soutien actif de la part du pays des Droits de l’Homme.
Je vous prie d’agréer, monsieur Le Président de la République française, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.
Lawœtey-Pierre AJAVON
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