Jodla 17/02/06
La gerbe !
La Guyane serait-elle devenue un vaste champ d’affrontements ethniques, finalement propice aux infiltrations des multinationales et aux profiteurs de toute nature ?
Cambior par exemple, qui s’apprête à dévaster à tout jamais des dizaines de km2 d’un précieux territoire pour son seul bénéfice et qui avance à pas de tig sans rencontrer de véritable obstacle sur son chemin, vient de dévoiler bien involontairement, sous la pression des écologistes, un pan peu ragoûtant de sa stratégie : une convention léonine signée en 2004 avec les Amérindiens Palikur pour l’utilisation de leur zone de droits d’usage. Au bénéfice de Cambior, quasiment sans contrepartie pour la communauté Palikour.
(Voir en fin d’article le fac-similé de la convention ainsi que l’analyse qu’en a fait Alexis Tiouka, spécialiste en droit international et en droits des Peuples autochtones.)
La gerbe encore quand l’exploitant de la décharge des Maringouins se voit contraint de fermer parce que les collectivités n’ont pas honoré leurs engagements. La gerbe encore quand ces mêmes collectivités, encombrées par leurs ordures qu’elles ne savent plus où déverser, viennent les larguer honteusement sur une immense décharge sauvage à ciel ouvert qui empoisonne déjà le village tout proche de la communauté Palikour de Macouria, Kamuyeneh.
Il ne fait pas bon être Amérindien en Guyane.
Ils sont pourtant nombreux en Guyane ceux qui ne voient en toute circonstance que des êtres humains et des citoyens, mais ils sont vite débordés par les gargarismes et les discours truqués des politiciens, et l'inconscience égoïste des suivistes.
Que la France soit sur le point de se faire allumer par l’Europe parce qu’aucune décharge publique en Guyane n’est aux normes n’émeut pas grand monde, même si de Saint-Laurent à Cayenne en passant par Kourou, la Guyane commence à ressembler à un immense dépotoir géré par des élus indifférents et préoccupés par l’unique sujet de leur réélection. (Dans le même temps, la compétition est ouverte entre Kourou et Saint-Laurent à celui qui aura la décharge la plus pourrie et le plus beau casino !) Quant au dépotoir de l’intérieur du pays, le sujet n’est pas loin pour eux d’être tabou et la poignée d’électeurs de Guyane est désarmée et sans poids national sur les dernières convulsions d’une catastrophe maintes fois annoncée.
Blada, février 2006
odile@blada.com
La convention Asarco GF (Cambior)/Communauté Palikour :
fac-similé de la convention (pdf 500 ko)
« Analyse de la convention palikurs et AGF (Cambior) »
par Alexis Tiouka,
spécialiste en droit international et en droits des peuples autochtones
Article 1 : "AGF peut contrôler l'accès à la Piste au moyen de mesures raisonnables n'ayant pas pour effet d'entraver l'exercice par la Communauté de ses droits dans la Zone en vertu de l'Arrêté"
→ de ceci découle l’idée que la communauté n’a aucun contrôle sur cette voie d’accès. Il ne lui reste donc que la possibilité de saisir un juge si la situation ne lui convient pas. Par ailleurs, la terminologie « contrôler l’accès » est relativement floue. Enfin, ceci est présenté comme une possibilité « peut » et non pas comme une obligation, on peut se demander pourquoi.
Article 2
→ la rédaction de cet article laisse à penser qu’il y a un régime de sanction contre la communauté. Cela va totalement à l’encontre d’un équilibre des droits et des obligations.
Article 3
→ la dernière phrase de cet article contient “le cas échéant”, ce qui laisse supposer une absence d’obligation réelle.
Commentaires généraux
Il s’agit là d’un contrat très déséquilibré. Généralement, dans des cas similaires observés en Amérique du Sud, les entreprises minières qui construisent une piste ou une route détiennent le contrôle de l’accès. Cependant, le contrôle est aussi transmis à des personnes fiables dans la communauté, qui sont payées par l’entreprise. La communauté ne peut en tout état de cause renoncer au contrôle total de l’accès, celui-ci doit rester ouvert pour l’ensemble de la communauté afin que ses membres puissent avoir accès au territoire autochtone. Par ailleurs, s’ils doivent passer un contrôle, il doit être stipulé qu’ils passent un contrôle d’accès à un territoire autochtone et non à un contrôle d’accès à une zone appartenant à une entreprise. Ceci implique que soit précisée la nécessité d’un contrôle local par des membres de la communauté.
Une convention ne peut être irrévocable. Généralement, une décision des différentes parties des membres d’un corps associatif peut changer une telle décision. Si la voie existe déjà, il convient de mettre en place d’autres mécanismes de contrôle.
Les indemnisations doivent être considérées en fonction de l’impact que l’activité a sur les mode de subsistance des peuples concernés. Généralement, la construction d’une route a des implications directes sur la faune et il est donc plus difficile pour la communauté de subvenir à ses besoins.
Il semblerait qu’il y a eu ici violation du processus de consultation et consentement premier et informé. La consultation doit être collective car il s’agit d’un territoire d’usage collectif, d’une concession collective.
De plus le contrat n’a pas de date de fin, il s’agit donc d’une concession à usage perpétuel. Les entreprises qui procèdent ainsi le font pour ne pas avoir à indemniser ultérieurement en cas de révision du contrat.
On peut enfin se demander si la communauté sur sa zone est en droit d’autoriser la construction d’un piste autre que pour ses besoins propres. C’est à l’Etat d’accorder cette autorisation et si tel est le cas, il peut malheureusement le faire sans tenir compte de l’obligation du respect des modes de vie et de l’autonomie admise des peuples autochtones. Lorsqu’une route ou une piste est construite elle devient généralement du domaine public et si elle se situe sur un territoire autochtone elle est privér, elle appartient à la communauté et pas à l’entreprise. Encore une fois, cela implique un contrôle commun, mais à charge de l’entreprise.
Alexis Tiouka
indigenous-peoples.gf@wanadoo.fr