Ce matin, vers 10h30, devant l’hôpital de Cayenne.
Dans la rue, beaucoup de circulation, le plein soleil. Des gens se font déposer devant l’hôpital pour continuer leur chemin à pied vers les unités de soin, le visage fermé. Sur tout le devant de l’entrée de l’hôpital, au ras de la rue, sont disposées des palettes, posées sur la tranche pour faire barrage. Quelques femmes entre les palettes, assises sur des chaises et munies d’un parapluie en guise d’ombrelle. Plus loin, vers le petit bâtiment situé sur la gauche de l’entrée, un groupe d’une vingtaine de personnes, des chaises, des tables.
Nous sommes deux, de blada. Nous rangeons notre voiture un peu plus loin puis nous nous rendons à pied de l’autre côté de la rue, sur le trottoir. Le photographe de blada prend quelques images du piquet de grève pendant que je téléphone pour essayer de joindre mon interlocuteur à l’intérieur de l’hôpital avant de me décider à faire inutilement un kilomètre à pied. J’observe la scène tout en téléphonant. A chaque fois que le photographe lève son appareil, les ombrelles se baissent pour masquer les visages (voir d’ailleurs la photo de France-Guyane d’aujourd’hui qui présente les mêmes caractéristiques). On peut effectivement comprendre qu’il n’est pas souhaitable d’être reconnu par le plus grand nombre lorsqu’on entrave l’accès aux soins d’une population manipulée. Tout se passe pacifiquement jusque là.
Survient alors à grand renfort de sirène une ambulance des pompiers qu’on entendait arriver de loin. Il faudra attendre que l’ambulance soit arrivée devant le barrage pour que deux femmes grévistes consentent à se lever et à tirer lentement chacune une palette vers elles. Le passage est ouvert mais l’ambulance ne bouge pas. Le chauffeur de l’ambulance fait un signe du menton pour montrer qu’il ne peut pas passer. La gréviste à la barrière crie : « Mais ça passe ! ». Le pompier dans l’ambulance dit à travers sa vitre quelque chose que je n’entends pas. La femme cette fois tire un peu plus la barrière et l’ambulance passe.
Tout ceci a été photographié. Mais j’entends des cris sur ma droite : deux hommes sont en train de malmener le photographe de blada et lui arrachent son appareil photo. Celui qui s’en est emparé frappe violemment l’appareil photo par terre et se met à courir de l’autre côté de la rue vers les grévistes. Nous le suivons pour essayer de récupérer notre matériel. S’ensuit une hystérie générale où tout le monde crie et où on se demande si on va se faire lyncher. Pendant ce temps, l’homme qui a pris notre appareil photo s’est engouffré dans le petit bâtiment de l’entrée, il ressort quelques instants plus tard et nous rend notre appareil photo, fracassé, sans carte mémoire et sans batterie. En guise d’adieux, deux petites phrases sont échangées : « on en a marre de vous » et « nous aussi ».
Alors que nous repartions, un homme qui passait dans la rue est venu nous remettre avec une gentillesse appuyée un morceau de notre appareil photo qui était resté par terre.
Les photos ne sont plus, mais notre témoignage demeure.
Pendant toute cette agitation, j’ai eu la maladresse de dire : « C’est une agression. Vous aurez à en rendre compte devant la justice ! ». Peine perdue, paroles perdues, énergie perdue, il n’y a pas de justice dans ce pays. C’est simplement la loi du plus fort. Et le plus fort, il est devant l’hôpital PUBLIC, et ne laisse passer que ceux qui lui conviennent et qui font profil bas. Les plus fragiles et les plus démunis n’ont qu’à se résigner et attendre que la majorité silencieuse se réveille. Un jour, peut-être.
Blada, 31 janvier 2006
odile@blada.com
Voir aussi communiqué des chefs de service de l'hôpital