Maintenant que chacun y est allé de son petit couplet de compassion à la suite des deux derniers suicides survenus dans la communauté amérindienne, voici que le préfet annonce qu'après avoir « diligenté une mission d’analyse de la situation sur la commune de Camopi et dans toutes les communautés amérindiennes après les cas de suicide de jeunes amérindiens », il tiendra - avec « les différents partenaires publics associés à cette démarche » - une conférence de presse vendredi 21 janvier au matin. Objectif : présenter à la presse « le programme de mesures qui sera mis en oeuvre à court et moyen terme »*. Gageons donc que, dès vendredi soir pour Guyane 1ere, et dès samedi matin pour France-Guyane, chacun ira de son refrain compassionnel et folklorisé. Ajoutons donc le nôtre, par avance, aussi vain sans doute, à ce mauvais concert :
Tobie Nathan**, psychologue bien connu (son blog) et « ethnopsychiatre », interrogé tout récemment sur Canal + à propos de la sortie de son dernier livre, « La Nouvelle interprétation des rêves » (paru chez Odile Jacob), livrait ce commentaire (citation approximative) : Si vous êtes un indien d'Amérique du Sud, vous vous souvenez de tous vos rêves. Chaque jour il faudrait une heure pour écouter les rêves de la nuit d'un indien d'Amazonie.
Sur le site de la revue de philosophie et de sciences humaines, Le Portique, on peut lire ceci à propos des Emerillons de Guyane (Terre sans mal) : « La voie la plus directe pour identifier les causes des désordres, qu’ils concernent la santé physique et mentale de l’individu, l’ordonnance des phénomènes naturels, ou plus généralement la bonne marche du monde, c’est le rêve qui permet aussi de trouver les moyens de remédier à ces désordres.»
Mais avons-nous, même une seule fois, pris en compte sérieusement cette extraordinaire dimension du rêve dans le monde amérindien ? Au lieu de cela, on feint régulièrement de redécouvrir une problématique déjà identifiée depuis des décennies, et on ressasse inlassablement les mêmes arguments :
Sur un ouvrage paru en 1986 chez L'Harmattan, en ligne sur Google book « Le Renouveau indien aux Etats-Unis », on peut lire ceci (directement transposable en Guyane) : « Quant à l'alcoolisme, l'un des problèmes sociaux le plus souvent évoqué, et qui a fini par s'inscrire dans le stéréotype du "peau-rouge", sans doute peut-on y voir aussi une forme de suicide, une manifestation de la perte du vouloir vivre. »
Cet ouvrage cite aussi les mémoires d'un vieil indien Tacha Ushte : « A notre tendance à boire, je crois trouver différentes raisons. Ce ne sont peut-être pas les bonnes. J'essaie seulement d'y voir clair. Nous appelons l'alcool mini-wakan, l'eau sainte. Je dis que, les visions étant pour nous d'importance sacrée, le fait que le whisky altère et trouble le fonctionnement cérébral a procuré au début l'impression d'une expérience religieuse, celle du rêve, de la voyance...»
Plus loin, on peut lire : « les problèmes d'insertion sociale qui se posent aux individus désireux de quitter la réserve et de s'adapter aux conditions de vie de la société majoritaire, renforcent la tentation de l'alcoolisme. L'ennui et la misère se conjuguent pour entretenir le désespoir. » Puis cette citation : « nous ne sommes libres que lorsque nous sommes ivres. »
Voilà donc des décennies que la problématique est ainsi posée, aux Etats Unis comme en Guyane ou ailleurs. Et la Guyane, c'est sûr, n'en a tenu aucun compte. Et ce ne sont pas des cellules d'écoute ponctuelles annoncées trop bruyamment qui vont régler quoi que ce soit, bien au contraire, puisque l'abandon est à chaque fois bien réel.
Et les organisations amérindiennes locales ne font pas mieux, sans rigueur, sans voix, et sans actions, mais qu'il est de bon ton de ne pas critiquer.
Il y a quelques années, un scientifique venu étudier les méfaits du mercure sur les populations amérindiennes sans jamais dénoncer l'orpaillage clandestin, déclarait, la bouche en coeur, dans une conférence : « J'ai eu un très bon contact avec les Amérindiens ». Comme lui, des centaines de scientifiques sont venus les regarder dans les trous de nez, et puis sont repartis, comme si de rien n'était.
Selon Jean-Pierre Havard, qui a fait, avec l'association Solidarité Guyane***, un magnifique travail de sensibilisation et de suivi de la problématique de l'intoxication au mercure des Wayana du Haut-Maroni, dit avoir pour sa part constaté que les villages amérindiens ayant le plus grand nombre de suicides sont ceux où il y a le plus grand nombre de conflits familiaux. Selon Jean-Pierre Havard, il serait extrêmement utile d'identifier les villages concernés par ce problème des suicides, car certains villages, plus en phase avec les structures familiales traditionnelles, semblent échapper à ce fléau.
* Ce soir dans l'émission Parol Kontré consacrée au problème du suicide chez les Amérindiens, Alexis Tiouka se demandait à juste titre si des Amérindiens avaient été consultés sur « le programme de mesures qui sera mis en oeuvre à court et moyen terme ». A suivre.
** Tobie Nathan est aussi l'auteur, avec Catherine Clément, d'un ouvrage qui a fait beaucoup parler en 2002 : Le Divan et le Grigri. Un entretien du 2 novembre 2010 avec Tobie Nathan est à écouter sur RFI (sur les différences culturelles).
*** Faute de soutiens, l'association Solidarité Guyane a dû cesser ses activités.
- Sur le site de Survival France, un article du 19 janvier : Suicide de deux Amérindiens en Guyane française.
- Voir aussi jodla du 11/01/11 : Que dire du problème du suicide dans le monde Amérindien ?
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