Eloge du « Balateur » par un « flâneur-chercheur » :
et droit réponse à l’auteur de l’article du 16 décembre 2014, paru dans France-Guyane
et intitulé « Il était une fois à Balata Ouest ».
Je pouvais difficilement ne pas réagir à votre article paru dans France-Guyane ce mardi 16 décembre, sous le titre sonnant comme un « crime cinématographique »… Il était une fois à Balata Ouest. Car oui, le film de Sergio Leone n’a que très peu de choses à voir avec le quotidien de ces jeunes, que vous décrivez si complaisamment comme des drogués, des voleurs et des alcooliques fascinés par la violence. Vous êtes resté quelques heures… voire quelques minutes avec eux, et vous estimez les comprendre. Vous avez déjà du mal, visiblement, à piger la symbolique et le génie de Sergio Leone, donc permettez-moi au moins d’émettre quelques doutes.
Autant vous le dire tout de suite, ce qui m’a écoeuré dans un premier temps reste la description que vous faites d’un ami… qu’est-ce que je raconte, du meilleur ami que j’ai ici… qui est « grand » effectivement, mais reste très loin des 1300 euros de RSA par mois. Cela fait trois mois à peine qu’il a commencé des démarches pour le percevoir. On est à mille lieues de la figure « d’assisté » qui sied tant aux électeurs réactionnaires que vous brossez dans le sens du poil comme un petit « Chien de garde » du pouvoir. Quant aux propos mis en avant dans l’article à son sujet, ils me font penser à cette réflexion de Boris Vian : « Les articles de fond remontent rarement à la surface. ». Vous venez d’en faire une brillante démonstration. Et croyez-moi, en voyant cela, c’est moi, la pastille Valda estampillée « métropole » et le petit universitaire bourgeois, qui a eu « soif de vengeance ». Etant donné que je préfère me venger avec des mots, je vais développer le fond de ma pensée.
Comme je le connais bien maintenant, et pas entre deux portes ou entre deux bières, je vais vous dire d’abord qui est mon « Grand ». La seule personne sur ce territoire à qui je confierais ma fille et ma femme s’il m’arrivait quoi que ce soit. La seule personne qui peut venir chez moi, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Quelqu’un que j’ai vu trimer, de file d’attente en file d’attente, pour réussir à s’en sortir ; pour lui, sa femme et ses enfants. Quelqu’un qui tente de se reconstruire parce que la vie dans un quartier comme Balata consiste souvent à « zigzaguer sur le droit chemin ». Comme beaucoup de ses amis, que vous préférez regarder comme des « zonards », mon pote a été pris de vitesse par les réalités froides, calculatrices et cupides de nos sociétés néolibérales. Mais effectivement, pour comprendre et restituer ces réalités, il faut un peu plus qu’une enquête dont le rendu donne l’impression d’un texte torché sur un coin de table entre la poire et le dessert.
Vous insistez sur le fait que la colère monte en prêtant des propos violents, là encore à mon ami, à la suite de la mort d’un de ses « siens », d’un mec du quartier… je sais, pour en avoir discuté avec certains d’entre eux, et certainement bien plus longtemps et longuement que vous, que la vengeance, si on la désire assez instinctivement dans un premier temps, on parvient aussi à la conjurer. Récemment, ma fille de 11 ans s’est fait voler son téléphone par un jeune mec d’à peine 18 ans probablement qui, ayant oublié de s’équiper de courage, l’a méchamment rançonnée. Moi aussi, quand j’ai su cela, j’avais envie de trouver ce type et même, si je l’avais croisé ou si ma fille l’avait identifié, je lui aurais enfoncé son portable si profondément dans le cul que son sphincter se serait mis à demander pitié (quoi, vous en voulez du spectaculaire et du sensationnel… je peux aussi vous en donner. Ma situation actuelle de privilégié ne m’empêche pas d’oublier que moi aussi, je viens et j’ai largement vécu dans ce genre de quartiers). Maintenant, malgré ce désir finalement si humain de vengeance, je sais aussi que ce môme est un autre galérien, qui a repéré une proie facile et économiquement viable. Balata, c’est un peu tout cela aussi : des pauvres qui tirent sur des pauvres, tandis que des riches les jettent en pâture à la vindicte publique. Car ce gamin, aussi con qu’il ait été, n’avait pas de haine particulière contre ma fille, simplement l’habitude de se débrouiller avec les moyens du bord.
C’est, comme vous et moi, un produit du système qui agit et se positionne en fonction de l’intérêt qu’il a à être ou non, dans le respect de la légalité. Et vu le nombre de personnes privées de ressources et de papiers en Guyane, il ne faut pas vraiment s’étonner que les gens ne comprennent pas bien l’intérêt de rester dans la légalité… Eh oui ! Jusqu’à preuve du contraire, il ne me semble pas que ce soit les jeunes de Balata qui profitent des avantages qu’offrent les paradis fiscaux de nos départements ultra-marins. En revanche, c’est eux, et tous les habitants de ce quartier, qui demeurent les premières victimes de cette violence structurelle… comme Mathieu Marchal, un jeune qui méritait mieux qu’un petit encart aussi mensonger que pathétique dans votre reportage version Tintin chez les sauvages.
Vous auriez pu faire un reportage sur Balata en évoquant tellement de choses :
Mais non, il est plus facile d’enfiler les clichés comme des perles : « Violence, alcool, ventes de drogues et prostitution ». Visiblement, les médias guyanais ont parfois quelques problèmes de canalisation et pour le coup, celles-ci remontent dans le France-Guyane, un journal qui se complait un peu trop souvent dans le fait-divers racoleur, où l’on conchie la présomption d’innocence en insistant régulièrement sur les « nationalités » des délinquants et criminels, en donnant aussi leur nom parfois… comme si un fait de quelques lignes contenait une vérité à la fois totale et ethnicisée.
Une des réalités de la Guyane, et Balata l’incarne à sa manière, c’est qu’il y a d’un côté des gens qui attendent, dans de jolies voitures climatisées, que les embouteillages les portent doucement mais sûrement jusqu’à leur travail et, de l’autre côté, certains patientent, près d’un Chinois, sous une terrasse ou sur le bord de la route, que quelque chose se passe… Et ce n’est pas parce qu’ils donnent l’impression aux gens qui comme vous se pointent avec le rince-doigts et le gel hydro-alcoolique, de n’être rien d’autre que des « glandeurs », qu’ils le sont forcément. Au contraire, s’ils étaient payés à la hauteur de leur investissement… pour les gens qu’ils aiment, pour leur quartier aussi, ils auraient largement les moyens de venir vivre dans nos quartiers aux loyers très peu modérés.
Il fallait les voir, le « Général1 » et mon « Grand », fiers d’avoir été parmi ceux qui ont tracé une signalétique pour éviter aux gamins rentrant de l’école de se faire shooter par la première voiture venue. On était à mille lieues de votre article et moi, peut-être parce que je n’ai pas le permis et que je marche – un Wakaman face aux Ti Mal – j’étais juste content… pour eux et fier de les connaitre. En définitive, il serait bon de les écouter un peu plus, de leur laisser la possibilité d’exposer des idées et des pensées qui ne soient pas juste caricaturées sur un format post-it. Derrière leurs bières, leurs joints, leurs plaintes, leurs doutes et leurs faux-pas, c’est une révolte, une colère sociale et politique qu’ils expriment avec leurs mots, parfois comme des vauriens et aussi souvent comme des poètes de rue. Ce qui est un comble dans votre reportage c’est que les plus belles expressions ne se trouvent dans vos mots mais dans les leurs, eux qui comprennent si bien la démagogie des puissants, tandis que vous courez après ces derniers, le tube de vaseline dans la main droite et le journal dans la gauche en prenant soin de tendre la fameuse « laisse d’or2 ».
Vous voulez savoir quelle est la différence entre un journaliste comme vous et un enseignant-chercheur, ancien banlieusard acheté par le quotidien du salariat comme moi : vous parlez à la place de ces gens-là, moi je parle pour eux et pour essayer, avec mes armes non létales mais verbales, de redonner du sens à leurs plaintes qui, à les regarder de plus près, sonnent comme des chroniques sociales d’une justesse saisissante.
Grégory Beriet
Maitre de Conférences à l’ESPE de l’Université
(que j’espère populaire et exigeante) de Guyane
P.S : Je souhaite bonne chance, aux futurs journalistes qui viendront faire leur travail à Balata, avec une éthique et une vraie volonté de faire leur travail (car vous en avez à France-Guyane, de bons journalistes, ici par exemple, pour expliquer à tous ces gens du quartier qu’ils viennent avec le désir de respecter une chose inhérente au métier : en l’occurrence la protection des sources et le respect des « témoins » ainsi que de leurs témoignages, et ceci quelque soit leur statut social ou leur origine.
1. Merci au fait mon pote pour les conseils précieux que tu m’as donnés dans la culture des légumes au sol. Oui je ne juge pas quelqu’un à l’aune du nombre de ses femmes et enfants moi… je l’écoute d’abord tout simplement et humblement. Et croyez-moi, le « Général » est un sage, bien plus sage que la plupart des petites élites que je croise dans mon environnement professionnel au quotidien.
2. Les fans d’un vrai journaliste, Pierre Carles en l’occurrence, comprendront cette référence. Vous concernant j’ai un peu plus de doutes.
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