Education :
La République en Guyane reste trop souvent
un petit hochet agité par des démagogues
par Grégory Bériet (Maitre de conférences Histoire, ESPE Guyane)
Il aura malheureusement fallu un drame – la balle reçue par un enseignant en pleine salle de cours du collège Paul Kapel – pour que la parole se libère. Que des enseignants, des professeurs des Ecoles, des personnels d’encadrement éducatif et des élèves disent leur mal-être de vivre et de travailler ensemble dans des conditions indignes d’un Etat qui se prétend à la fois puissant et respectueux des droits fondamentaux.
La grève de mardi 15 avril (ainsi que celle du 11 avril) atteste de bien plus qu’un ras-le-bol. Elle témoigne de l’iniquité d’un système scolaire poussant à l’extrême la reproduction sociale. Les concours et autres « journées d’excellence » permettent de couvrir de vernis toute réflexion sur une éducation populaire. Ou quand l’élite se regarde le nombril... La Guyane devrait, à l’horizon de 2050, avoir une population d’environ 600 000 habitants, dont une large partie se constituera de jeunes de moins de 18 ans. Et, pendant ce temps, le taux d’encadrement scolaire (il en est de même d’ailleurs de la couverture médicale) ne cesse de ressembler à une bombe à retardement qu’on ne pourra bientôt plus désamorcer.
Cette situation devient pourtant de plus en plus intolérable…
Le système éducatif en Guyane glisse dangereusement dans les limbes et les grévistes viennent désormais de tirer la « sonnette d’alarme ». On peut avoir beau jeu de stigmatiser les personnels l’Education Nationale (privilégiés, puisque c’est dans l’air du temps… mais la connerie est toujours dans l’air du temps). La réalité apparait bien plus sordide. En effet, les personnels, comme les élèves, ressemblent davantage aux victimes de la pingrerie néo-libérale des gouvernements qui se sont succédés en France depuis les années 1980. Une décentralisation exponentielle dictée par le seul souci de réduire les dépenses publiques, y compris les plus importantes, une politique ultra-marine laxiste, laissant perdurer la corruption, les politiques de « bouts de ficelle » et, dans le cas de territoires comme la Guyane, le mépris le plus ignoble… Il suffit de constater les ravages de la loi Libertés et Responsabilités des Universités sur l’Université des Antilles-Guyane. Des écoles, collèges et lycées guyanais qui étouffent de ne pas être plus nombreux et se retrouvent contraints de fonctionner avec des classes allant régulièrement au-delà des 30 élèves. Sur un territoire marqué par une profonde diversité sociolinguistique et une immense pauvreté, cela s’apparente à un juvénicide1.
Les appels au calme, les messages visant à déposer les armes ainsi que les promesses rapides n’y changeront rien. Son système éducatif doit désormais être « sanctuarisé », autrement dit protégé. Il est impératif de changer dès maintenant les règles du jeu, sans quoi la grève universitaire n’aura servi à rien.
La République en Guyane reste trop souvent un petit hochet agité par des démagogues oubliant un peu vite que le début de l’équité consisterait au moins à faire en sorte que tout enfant scolarisé puisse bénéficier d’un déjeuner équilibré… mais les cantines sont aussi rares que la neige dans les établissements d’enseignement secondaire. Certains physiologues et spécialistes de la « chronobiologie » ont pourtant mis l’accent sur les effets positifs qu’un repas équilibré peut avoir sur les élèves. Mais qui écoute les rabat-joie ? Le résultat : certains d’entre eux s’enivrent plutôt que de manger, d’autres (parfois les mêmes) sèchent les cours de l’après-midi et ainsi se perpétue le cycle immuable de la déscolarisation.
L’Ecole ne peut pas résoudre ou absorber tous les maux de la société. Elle doit en revanche disposer des moyens nécessaires pour qu’au moins, « chez elle », ces derniers soient le plus inexistant possible.
Quant aux professeurs, ils font ce qu’ils peuvent (et même beaucoup plus) sans d’autres perspectives que l’espoir d’un changement d’échelon et d’une poignée d’heures supplémentaires (devenue la réponse ultime à la crise des carrières au sein de l’Education Nationale). Malgré cela, ils se battent, font leurs cours dans des conditions abominables (pour eux comme pour les élèves d’ailleurs), se ruinant la santé dans des combats interminables et destinés à glaner quelques moyens. Je veux bien que l’on nous serine à longueur de temps la litanie « d’une sécurité de l’emploi2 » du fonctionnaire enseignant. Il n’en demeure pas moins que l’enseignant guyanais (fonctionnaire comme contractuel d’ailleurs) ressemble plus au « pompier » et, à la différence de ce dernier, il ne perçoit aucune prime de risques. Puisque avant même de transmettre un savoir et des pratiques, un enseignant en Guyane doit d’abord apprendre à soigner et sauver.
Il apparaît donc vital que toute la Guyane soit déclarée « Zone d’Education Prioritaire », pour qu’enfin nos « pompiers-personnels éducatifs » et leurs élèves « en zone incendie » disposent des moyens matériels et pédagogiques nécessaires (des classes réduites de moitié en effectif par exemple). Regarder d’un peu plus près le nombre de collèges et lycées qu’il faudrait construire pour être au même niveau que les standards nationaux…
Une politique des « grands travaux ». Il apparait également urgent de mettre en place les dispositifs nécessaires à la formation des personnels éducatifs. La Guyane est parfaitement capable de faire accéder ses classes populaires à des études supérieures. Cela suppose déjà d’accepter cette réalité. Saint-Laurent du Maroni sera un jour la ville la plus peuplée de Guyane… se voiler la face ne fait que contribuer à aggraver la situation. Mais peut-être que le Maroni finira par demander son rattachement au Suriname (il serait d’ailleurs bénéfique d’aller voir ce que font nos voisins proches… avec souvent encore moins de moyens).
Espérons que ce mouvement de contestations fasse en sorte qu’il ne soit désormais plus possible de regarder ailleurs. La Guyane mérite mieux qu’un pansement sur une jambe de bois ou qu’un Kouchner transportant un sac de riz. Et il serait temps d’écouter tous ceux qui, mardi et les autres jours, vont le vitupérer avec leur colère en guise de blindage pour sauver aussi l’attachement qu’ils portent à leurs fonctions. Je le conjugue au pluriel parce que les fonctions ici semblent aussi nombreuses que les élèves dans les classes.
Grégory Beriet
MCF, Histoire, ESPE Guyane
14 avril 2014
1. Une référence à une chanson du groupe de rap Kabal. Les amateurs comprendront, les autres, je l’espère, iront découvrir ce formidable groupe. http://www.youtube.com/watch?v=g3vcBKztAA0
2. Il y a une chanson du groupe Fatal Picards qui porte ce titre. Je conseille à mes camarades professeurs qui ne la connaissent pas, d’aller l’écouter. En ligne par là par exemple : http://www.youtube.com/watch?v=XaTsXvTJcEs&feature=kp
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