Quatre ans après, Barack Obama
a-t-il réellement déçu ses « frères » africains ?
Par Lawœtey-Pierre AJAVON
Enseignant-chercheur en Histoire et en Anthropologie, Lawoetey-Pierre AJAVON est Docteur 3ème cycle en Ethnologie et Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines (Anthropologie des Sociétés Orales). Il est auteur de plusieurs articles dans des revues spécialisées, et d'un ouvrage « Traite et esclavage des Noirs, quelle responsabilité africaine ? » paru aux éditions Ménaibuc à Paris.
A l’issue d’une campagne électorale américaine aux pronostics incertains pour Barack Obama, ce dernier a fini par sortir vainqueur de la présidentielle de novembre dernier et s’apprête dans quelques jours, le 21 janvier 2013, à rempiler pour un deuxième mandat de quatre ans.
Contrairement aux élections de 2008 qui consacrèrent pour la première fois de son histoire un Président « noir » à la tête de la première puissance mondiale, les élections du 6 novembre 2012, ont peu passionné les masses africaines. Le sentiment général qui prévaut désormais parmi elles, c’est celui d’avoir été trahies par leur « frère » Obama.
En effet, dès son élection en 2008, les Africains attendaient du président américain, tel leur messie, un investissement personnel et actif pour les aider à sortir leur continent du gouffre. Ils attendaient surtout que le nouveau locataire de la Maison Blanche pèse de tout son poids en leur faveur auprès des institutions de Bretton-Wood (FMI, Banque Mondiale). Mais, quatre ans après, force est de constater que l’Afrique patauge toujours dans ses innombrables problèmes. Et Obama n’y a rien changé. Cela explique sans doute le relatif intérêt pour sa réélection. On est en effet loin de l’euphorique « obamania » ainsi que de l’ivresse électorale de 2008, où les rues africaines avaient bruyamment salué la victoire de Barack Hussein Obama à la Maison Blanche. Exit donc cette fois-ci, gadgets et autres symboles (T-shirts, porte-clés, foulards, décapsuleurs, fanions, etc.) que l’on pouvait se procurer aisément sur tous les étals au bord des rues. A défaut de convaincre, certains trophées de la victoire de 2008 (coupes de cheveux « Obama », buvettes à l’enseigne « Obama » ou le fameux « Yes we can » inscrit sur les carosseries des taxis collectifs) semblent être désormais remisés aux rayons des accessoires de l’Histoire.
Le moins qu’on puisse dire, est que « l’obamania » initiale s’est vite estompée, à l’épreuve de la Realpolitik du « White House ». Au demeurant, cette désaffection pour Barack Obama pourrait être évaluée à la mesure de l’immense espoir - sans doute trop béat - que les Africains avaient placé en lui.
Bilan globalement négatif ou demi-teinte ?
A l’heure des désillusions et du bilan, que retenir de la première présidence d’Obama ? Sur le plan intérieur, malgré un léger frémissement, le taux de chômage de la communauté africaine-américaine - 15,9% - est quasiment le double de celui des Blancs qui est de 8,1%. Ce qui n’altère pas toutefois le capital de confiance dont Obama continue de bénéficier au sein de cette communauté. Les paroles de la chanteuse afro-américaine, Nivea, n'en disent-elles pas long sur ce sentiment « obamaniaque » ? “Don’t mess with my man, I’mma be the one to break it to you” (touche pas à mon type, sinon je t’en fous une).
S’agissant du continent noir, c’est à l’aune des intérêts ou préoccupations des uns et des autres qu’il faudra apprécier le bilan de l’Africain-Américain Obama. Ses détracteurs lui reprocheront son peu d’intérêt pour la patrie de ses ancêtres. Les plus indulgents lui concèderont tout au moins un bilan en demi-teinte : il n’a foulé qu’une seule fois le sol de l’Afrique au sud du Sahara lors de sa visite officielle au Ghana en juillet 2009. Il se rachètera tardivement en y envoyant son épouse Michelle et ses deux filles en pèlerinage. Un autre signe qui ne trompe pas : durant les deux débats qui ont précédé les élections américaines de novembre dernier, pas une seule fois le nom de l’Afrique n’a été mentionné.
Concrètement, on retiendra l’engagement d’Obama aux côtés des forces franco-britanniques pour défaire le régime de Kadhafi, jusqu’à l’assassinat de ce dernier. Que dire de son aval dans l’éviction de l’ex-président ivoirien, le panafricaniste Laurent Gbagbo du pouvoir, et de son soutien ostensible à son rival, le très pro-occidental Alassane Ouattara ?
Dans la Corne et au Nord-Est du continent, Obama a parrainé la naissance du tout dernier Etat africain, le Soudan du Sud, et a offert les moyens logistiques à son « protégé », le Kenya, pour traquer les intégristes Shebab en Somalie. L’appui militaire américain afin de déloger le sanguinaire Joseph Kony toujours terré quelque part dans le nord du Soudan est à mettre également à son actif.
Certains Etats présentés comme pro-américains sur le continent, le Kenya, l’Ouganda, l’Ethiopie et le Rwanda, ont pu ainsi bénéficier massivement d’aides économiques et militaires des Etats-Unis, très souvent au mépris du respect des Droits de l’Homme. Mais, ce n’est que tout récemment que, sous la contrainte des ONG humanitaires, Obama s’est enfin résolu à réviser son partenariat avec le Rwanda, en supprimant 20 000 dollars d’aide militaire à son allié traditionnel, Paul Kagame, accusé de parrainer ouvertement le M23, mouvement rebelle qui écume le nord et l’Est du Congo Démocratique, pillant, violant et assassinant allègrement.
Et si la politique africaine de Barack Obama a été plus sécuritaire qu’économique, c’est qu’au pays de l’Oncle Sam, la psychose du 11 septembre est encore présente dans tous les esprits. Certes, Ben Laden est mort. Mais dans l’obsession de sa traque, les Occidentaux en général, et les Américains en particulier ont oublié le danger islamiste qui couvait en Afrique au sud du Sahara, aujourd’hui perçue par l’administration américaine comme le continuum de sa politique intérieure.
On comprend dans ces conditions tous les efforts de coopération militaire déployés par la première armée du monde envers le continent noir : apport logistique aux pays vulnérables, comme le Kenya, la Somalie, la Mauritanie, le Mali et le Nigéria, formation d’une armée africaine sous contrôle étasunien (l’Africom), lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée et au large des côtes somaliennes. Le but manifeste étant d’éradiquer les bases arrière des affidés africains du terrorisme international représentés par des mouvements intégristes tels que les Shebab en Somalie, le Boko Haram au Nord-Nigéria, Ansar Dine, Aqmi et le Mujao au Nord-Mali.
Au plan politique, l’espoir a tôt fait de céder la place à maintes déceptions. Aussi, que de récriminations et d’amertume au sein de l’opposition démocratique à Libreville lorsqu’après son fameux discours d’Accra dans lequel il fustigeait les « hommes forts », le même Obama se lança dans une sorte de panégyrique à l’endroit du défunt président gabonais, Omar Bongo, qui incarna 47 ans de pouvoir répressif sans partage ! Que de grincements de dents à Lomé, dans les Etats-majors de l’opposition politique, lorsque madame Clinton rangea le régime de Faure Gnassingbé parmi les modèles démocratiques en Afrique de l’ouest, passant par pertes et profits les milliers de victimes de l’armée togolaise en 2005, lors de l’accession du fils de son père au pouvoir ! Enfin, les palinodies de l’administration américaine dans le conflit du nord Mali occupé par des groupes islamiques laissent plus d’un interrogateur sur les réelles motivations d’Obama.
Et pourtant, dès le début de son premier mandat, le chef de la Maison-Blanche avait envoyé des signes forts aux Africains, suscitant beaucoup d’espoir sur un continent habitué aux ploutocraties militaro-claniques plus enclines à la conservation dynastique du pouvoir politique. « L’Afrique doit se prendre en charge », déclarait Obama devant les parlementaires ghanéens, avant d’afficher sa préférence aux « institutions fortes plutôt qu’aux hommes forts ». Autre symbole : le rendez-vous de 2010, à la Maison-Blanche avec une centaine de jeunes Africains représentatifs de chaque pays du continent. Le sujet à l’ordre du jour était plus qu’ambitieux : « la vision de l’Afrique pour les 50 ans à venir ».
Barack Obama a-t-il réellement déçu ses « frères » africains ? Telle est la question que je posais en titre. La réponse pourrait être positive si l’on considère l’absence de projets véritablement économiques des Etats-Unis pendant les quatre années de mandat de l’ex-sénateur de l’Illinois. La « Chinafrique » n’en demandait pas mieux pour opérer sur le continent noir « un grand bond en avant », et occuper la place laissée vacante par les pays du Nord, les Etats-Unis en tête.
Paradoxalement, nonobstant la déception d’une partie des Africains, la majorité a salué la réélection d’Obama. Sans doute, celle-ci parie-t-elle sur le fait que, ce dernier, entamant son dernier mandat et ayant les mains plus libres, pourrait changer sa politique vis-à-vis de l’Afrique, et engager avec le continent-berceau de l’Humanité une véritable coopération de développement économique.
Reste enfin à espérer que Obama II ne sera pas l’exacte réplique de Obama I.
Toutefois, au-delà de leur expression de déception, voire de trahison, les Africains n’ont-ils pas eux-mêmes péché par excès d’optimisme ? Obama les avait avertis : l’Afrique doit se prendre en charge. Le message est ici implicite : les Etats-Unis sont confrontés à leurs propres problèmes sociaux et budgétaires comme le démontre l’éprouvant mi-mandat d’Obama. Ce dernier n’en a pas fini de croiser le fer avec ses adversaires Républicains, hier hostiles à son projet de couverture sanitaire en faveurs des Américains les moins nantis, et aujourd’hui timorés à trouver un consensus par rapport à son programme budgétaire.
En 2008, au lendemain de l’élection de Barack Obama, j’étais de ceux qui avertissaient déjà les Africains, enivrés par sa victoire, ou qui se gargarisaient d’illusions sur la capacité du 44ème président des Etats-Unis à résoudre les problèmes du continent noir. Obama, disais-je, malgré la dimension affective qu’il pourrait afficher à l’égard de la patrie de ses ancêtres africains, était avant tout élu par ses compatriotes américains pour défendre leurs intérêts dans le monde. L’Afrique disposant d’énormes potentialités naturelles qui attisent de plus en plus de convoitises ne devrait- elle pas enfin compter sur elle-même et cesser d’attendre la survenue d’un hypothétique Deus ex machina, fût-elle la première puissance mondiale ?
On ne le répétera jamais assez : Obama est et reste Américain. Malheureusement son teint a naïvement occulté, chez bon nombre d’Africains, le débat de fond sur l’idéologie qui constitue le sous-bassement de sa politique africaine. A ce propos, observe avec beaucoup de lucidité et de pertinence, le journaliste burkinabé O.Ibouldo : « Notre orgueil nègre ne fut pas flatté- on le serait à moins - mais penser que, le symbole mis à part, tous les problèmes du continent seraient résolus parce qu’un lointain cousin allait s’installer à la Maison-Blanche avait quelque chose de puéril, car il avait été élu par ses compatriotes pour régler leurs problèmes d’abord. De ce point de vue, on n’aurait pas été déçu, puisqu’on n’en attendait rien ».
Lawœtey-Pierre AJAVON
20 janvier 2013
Du même auteur, sur blada.com
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