Faux journaliste mais vrais gogos
par Ian Hamel
Ecrivain et journaliste, Ian Hamel collabore actuellement au Point et à Bakchich. Il a été journaliste en Guyane de 1974 à 1981 (VAT en 1974-75 ; correspondant de l’AFP, du Monde et du Journal de Genève de 1975 à 1981 dans les Guyanes et la Caraïbe ; rédacteur en chef du magazine guyanais d’information Impact, bi-mensuel qui a existé de 1978 à 1981).
Quand je suis arrivé en 1974 en Guyane, alors tout nouveau diplômé d’une école de journalisme, le paysage médiatique local était dominé par B., un monsieur d’un certain âge. C’était LE GRAND JOURNALISTE de la Guyane. Le préfet lui accordait des interviewes exclusives, le général mettait son hélicoptère à sa disposition, le président du Conseil général ne lui parlait qu’avec respect. B. se présentait depuis un quart de siècle comme LE CORRESPONDANT de l’Agence France Presse (AFP) en Guyane.
En fait, il fréquentait essentiellement les cocktails et les réceptions. Je m’étonnais de ne jamais trouver une seule dépêche consacrée à la Guyane sur le fil de l’AFP. Plus étrange encore, B., un éternel appareil photo autour du cou, ne sortait jamais ni stylo ni bloc-notes lors des conférences de presse. Devant mon étonnement, B. prenait un air hautain et m’expliquait qu’il dictait son texte de mémoire à l’AFP à Paris. Je l’ai même vu s’adjoindre une collaboratrice lors d’une visite ministérielle. Au troisième ou quatrième verre de champagne, B. se présentait carrément comme le directeur de l’AFP pour toute l’Amérique du Sud.
J’étais moi-même si persuadé de l’importance de B. que, cherchant des collaborations dans la presse française, je n’avais pas contacté l’AFP. En septembre 1975, alors que je deviens correspondant du journal Le Monde, pour la Guyane et le Surinam, un rédacteur en chef de l’Agence France Presse me demande de passer à son siège, place de la Bourse à Paris.
« Depuis des années nous cherchons à recruter un journaliste indépendant. Dans les DOM-TOM, nous ne voulons pas prendre ceux de la TV, trop liés au pouvoir », m’annonce le rédacteur en chef du service “France“.
« Mais, vous avez B. ? », dis-je, étonné.
« C’est qui B ? », demande à son tour le rédacteur en chef.
En fait, B. était totalement inconnu à l’AFP. Les recherches ne donneront rien. On ne retrouva aucune trace de lui, notamment à la comptabilité, aucune dépêche. À mon retour en Guyane, malgré mon accréditation de l’AFP, la préfecture a mis au moins un an avant de priver B. de petits fours. Sans doute était-ce difficile pour un préfet, sorti de l’ENA, et un directeur de cabinet, sorti de l’armée, d’avouer qu’ils s’étaient fait abuser par un mythomane.
J’ai gardé en mémoire cette histoire pendant toute ma carrière journalistique, et même ma vie personnelle : Il faut, presque toujours, tout vérifier. C’est fatigant, mais indispensable. Car notre naïveté laisse la porte grande ouverte aux escrocs et aux margoulins. B. n’était sans doute qu’un pauvre mythomane.
Mais pendant vingt-cinq ans, aucun élu, aucun fonctionnaire, aucun chef d’entreprise n’a pris seulement cinq minutes pour vérifier si ce monsieur était bien correspondant en Guyane… Moi non plus, je ne l’ai pas découvert par moi-même.
Ce cas est loin d’être unique. Le journal Libération a raconté un été que depuis des années, un faux correspondant du journal sévissait en Grèce.
Ian Hamel
Septembre 2010
ian.hamel@edipresse.ch
Ian Hamel est notamment l'auteur de :
“Les Guyanais, Français en sursis ?”,
éditions Entente
“Quid du canton de Genève”,
éditions Connaissance et Communication
“La vérité sur Tariq Ramadan: sa famille, ses réseaux, sa stratégie”,
éditions Favre
"L’énigme Oussama Ben Laden”,
éditions Payot
“Xavier Bertrand, les coulisses d’une ambition. Faux gentil, vrai méchant ?”,
éditions de L’Archipel
“Et si la Suisse ne servait plus à rien ?”,
éditions Larousse.
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