Originaire du Sénégal, Adams Kwateh est journaliste à France-Antilles en Martinique. Il a exercé à France-Guyane de février 2001 à mars 2006. Très proche des milieux intellectuels aux Antilles et en Guyane, il est partisan du renforcement des liens culturels entre l'Afrique et la diaspora.
En dépit du démenti apporté par
Alioune Badara Bèye sur les ondes de la RFM, mercredi 21 janvier, le nom de Césaire en tant que parrain ne figure ni dans le document de présentation, ni sur le site du
Festival mondial des arts nègres, prévu en décembre 2009. Il n’est donc pas étonnant de voir qu’aucun membre de la famille et de l'entourage de
Césaire n'est impliqué dans les préparatifs de l'évènement.
Adams Kwateh avec Aimé Césaire,
en janvier 2007.
Le FESMAN III se prépare sans le nom d'Aimé Césaire qui, pourtant avait été sollicité pour en être le parrain. Accordons à l’humain la faiblesse d’avoir une mémoire faillible. Mais comment les responsables du ministère de la Culture du Sénégal peuvent-il oublier la date du 25 juin 2007 quand ils ont lancé le FESMAN III devant le dernier des fondateurs du mouvement de la négritude ?
Les images sont encore gravées dans la mémoire de tous ceux qui, jeudi 25 juin 2007, ont assisté à Fort-de-France au Parc Floral - devenu depuis le Parc culturel Aimé Césaire - au lancement de la troisième édition du Festival mondial des arts nègres. Malgré le poids de l'âge et l’humilité qui le caractérisait, Césaire et son grand ami de toujours Pierre Aliker (102 ans) était là. Les comédiens, musiciens et danseurs de
Daniel Sorano ont salué le grand homme par des voix chaleureuses, la cora a vibré et la comédienne
Marie-Anne Sadio a reçu les félicitations de Césaire. L'émotion avait atteint son comble. Du jamais vu sur le sol martiniquais depuis le 14 février 1976, lorsque
Léopold Sédar Senghor était venu saluer son frère Aimé Césaire*. C'était la fraternité retrouvée entre deux hommes sur la terre caribéenne. Oui, le 25 juin 2007, la veille des 94 ans de Césaire est à marquer d'une pierre blanche. Ce fut le dernier anniversaire de Césaire. Il décédera 10 mois plus tard.
Devant la Martinique tout entière, la promesse avait été faite que Césaire serait le parrain de la troisième édition du FESMAN. Il n'avait pas réclamé cet honneur et il n'en a plus jamais reparlé. C'était un homme discret. Il disait rarement non.
Comment ce grand homme aurait-il refusé un honneur qui lui viendrait du monde noir, singulièrement de l'Afrique ? Comment lui, le dernier grand témoin et précurseur avec Alioune Diop et Senghor du premier Festival des arts nègres aurait rejeté une demande des Sénégalais ? D'ailleurs, rien ne dit que le festival tel qu'il est conçu actuellement par le comité d'organisation du Sénégal aurait reçu son aval. Pour cause, Césaire n'était pas de ceux qui tenaient le crachoir pour chanter les valeurs nègres. Césaire balayait d'un revers de la main toute invitation à la mondanité. Il était lucide face aux errements et
à l'absence de perspective des dirigeants du Tiers-Monde. A ce propos, allez chercher dans les archives du premier Festival des arts nègres en 1966**. Vous risquez de n'y trouver ses traces que de manière symbolique. L'essentiel de sa présence était ailleurs : son voyage avec
Malraux en Casamance et ce fameux débat sur l'art et la politique. Son intervention au cours de ce débat est d'une actualité criante sur la place que les dirigeants accordent à la culture. Lagos 77 ? Césaire avait tout simplement brillé par son absence à la seconde édition du Festival mondial des arts nègres. Non pas parce qu'il redoutait les griffes du tigre
Soyinka - il affectionnait beaucoup l’écrivain nigérian - mais pour lui les rendez-vous manqués avec nous-mêmes ont été si nombreux qu'un festival des arts nègres serait la caution d'une incurie collective. Laissons Césaire se reposer après soixante ans de combat pour que l’Afrique et la Caraïbe entrent sur la scène du monde.
La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si le président
Abdoulaye Wade cautionne la démarche d'un groupe de personnes qui, au nom des valeurs nègres, font du FESMAN la plus grande mondanité nègre. Le chef de l'Etat sénégalais aurait-il un excès de confiance en son ministre de la Culture qui, venu à l'enterrement de Césaire, s'étonne de la présence de Sénégalais en Martinique ? Son directeur de cabinet de l’époque a sans doute eu une amnésie pour ne pas lui dire que Césaire avait accueilli toute l’Afrique chez lui. Tout laisse à penser qu'il y a l'absence d'une ambition utile pour servir une cause commune basée sur un panafricanisme modernisé. M. Wade a toute la légitimité de relancer le FESMAN sur cette base-là. D'abord, il est l'un des rares intervenants vivants de la
première rencontre des écrivains et artistes noirs en 1956 à Paris et au cours de laquelle le jeune juriste qu’il était avait traité de notre relation au droit. Je ne doute pas non plus du panafricanisme de Wade, encore moins de sa sensibilité à donner place à la diaspora. La preuve : le FESMAN III est dédié aux frères et soeurs des Amériques. Car aujourd'hui, la diaspora concentre en son sein des forces capables de dialoguer d'égal à égal avec l'Afrique-Mère. Finie l'Afrique mythique ou celle des "ancêtres bambaras". En somme, la diaspora a atteint son "autonomie " à la fois au plan spirituel, religieux et culturel. Les exemples de la santeria, du vaudou et du condomblé sont là pour montrer que les Dieux d'Afrique ne sont pas une simple survivance africaine. Mais ces religions sont dans les comportements, les pensées. Sur le terrain de la musique et des arts en général, la diaspora africaine dans les Amériques continue à tracer des sillons. Ces anonymes très nombreux qui habitent la zone qui va de Salvador de Bahia au Brésil à Salvador de Cuba attendent les retrouvailles avec l'Afrique. Ceci m’a été confirmé à Santiago de Cuba et Guantanamo, deux villes qui forment un triangle avec la Jamaïque et Haïti. Le nom de l’Afrique
y a une résonance particulière. Car pour ses
habitants, l’Afrique est synonyme d’humanité.
Alors, il faut donner à la Martinique la promesse faite à Césaire. D'abord le Sénégal doit oser le pari d'associer les animateurs culturels haïtiens, martiniquais, guadeloupéens, guyanais, réunionnais à la conception même de ce festival. Ainsi, ces porteurs d'utopie tisseront le lien rompu avec la diaspora. Le coordinateur général du FESMAN III et son ministère doivent comprendre que ce ne sont pas les personnalités et les grands noms qui feront de la manifestation de Dakar « un rendez-vous du donner et du recevoir ». Mais ceux qui gèrent la culture à Dakar ont-ils une petite dose d'ouverture d'esprit pour éviter que le FESMAN III ne soit le rendez-vous manqué de l'Afrique avec la diaspora ?