« Ce que je voudrais c’est que les recherches reprennent afin que l’on retrouve le corps de mon fils ». Emacié, barbu,Frédéric Boronat s’oblige à faire face. Né en Seine-Saint-Denis, installé en Guyane, depuis 1994, il est le patron d’un gîte à 50 km de Cayenne, une sorte de havre de paix en bordure de la forêt guyanaise dont le jardin descend vers un bras de la rivière Comté. Sur cette rivière large comme un fleuve, il a perdu son fils. Le 7 juillet, vers 22 heures, le père et le fils font partie des 5 personnes qui reviennent, à bord d’un « Boston » hors-bord, d’une soirée dans un carbet à 20 minutes en amont de son domicile. « Nous naviguions depuis 3 minutes, il faisait nuit noire. Au sortir d’une large courbe, nous étions sur la gauche de la rivière, nous avons aperçu des signaux lumineux à environ 200 voire 300 mètres, émanant d’une vedette proche de la rive. Notre pilote a dit à voix haute : « t’inquiète, je t’ai vu ». On allait vite. Notre pilote a voulu passer à droite des signaux. D’un seul coup, derrière cette vedette, une barge (de 12 mètres de long selon lui) surchargée de bois, nous est apparue. Je ne pense pas qu’elle était éclairée, le pilote de notre bateau a donné un coup de volant vers la droite mais on a touché la barge de biais ». Pour sa part, le pilote du « Boston » Jérôme Elissalde affirme qu’il naviguait alors plutôt sur la droite du cours d’eau et souligne lui aussi avoir heurté une barge, d’après lui non éclairée, « une ombre noire en face de moi, une vraie tapouille » se souvient-il. Autre son de cloche du propriétaire de la barge, Kayshwar Chand : « L’endroit s’appelle le Trou du Diable. Ma vedette avait accosté sur la berge . Ses feux étaient éteints. Sur le fleuve, ce que certains appellent barge c’était ma coque alu d’environ 10 mètres de long remplie de bois avec lequel je construis un carbet. Elle rentrait vers la berge. J’ai lu dans un journal local qu’elle était en travers du fleuve. Mais ma coque alu fait une dizaine de mètres et le fleuve 80 de large à cet endroit, il restait de la place. En plus, dans la coque alu, il y avait deux lampes : une à l’avant, une à l’arrière avec lesquelles deux piroguiers à bord ont émis des signaux au Boston. Il y a de la circulation sur la Comté, il faut ralentir au moindre signal. Pour moi, il n’y a pas eu de collision, ma coque alu n’a pas d’impact. C’est le brusque changement de direction du pilote qui a projeté les gens à l’eau ». L’enquête judiciaire ouverte, devra essayer d’établir qui dit la vérité dans cette affaire. Par ailleurs, selon le témoignage, notamment de monsieur Chand, le Boston, actuellement sous scellé sur la Comté porte un impact sur le côté avant gauche. En revanche, la coque alu, remplie de bois le soir du drame, n’a pas été placée sous scellé.
Suite au choc pour certains, au coup de volant pour M. Chand, quatre des cinq occupants du « Boston » sont éjectés dans la rivière. Seule Elaé, la fille de 15 ans, de Frédéric Boronat, reste dans le bateau qui viendra percuter la berge et se retourner. Elle s’en tirera avec plusieurs contusions.
«
Avec Jean-Michel (autre occupant du Boston projeté à l’eau),
un ami légèrement blessé, on s’est mis à nager pour retrouver Colin (le prénom de son fils).
J’ai cherché sur la berge aussi. Sans le retrouver » raconte Frédéric Boronat. Entre-temps Kayshwar Chand a fait démarrer sa vedette pour hisser à bord le pilote sérieusement blessé. «
On l’a amené au pont de la Comté avec celui qui s’appelle Jean-Michel qui était blessé au bras. A 200 mètres en aval des lieux de l’accident, le portable passait. Une demi-heure après notre arrivée au débarcadère, les pompiers étaient là ». Ils transportent les 2 blessés aux urgences de l’hôpital de Cayenne. «
J’avais la rate explosée, 5 côtes cassées, un pneumothorax… Mais, j’ai été parfaitement pris en charge à l’hôpital de Cayenne » indique aujourd’hui Jerôme Elissalde après 12 jours passés à l’hôpital où il a subi, indique-t-il, l’ablation de la rate et a été opéré d’un nerf au bras, touché dans l’accident. Sur les lieux, le soir du drame, selon Frédéric Boronat, deux gendarmes arriveront avec un piroguier vers minuit, deux heures selon lui après l’accident. Vers 2 heures du matin, Frédéric Boronat et sa fille de 15 ans, amenés à hauteur du Pont de la Comté partent, par leurs propres moyens, en véhicule, prévenir Marie-Noëlle Pelletier, la mère de Colin, qui vit à Rémire-Montjoly. Prise de vomissements, plus tard dans la nuit, Elaé sera conduite au petit matin à l’hôpital de Cayenne. Aucun soutien psychologique ne lui a été proposé depuis l’accident, ni aux parents, assure la famille.
« Deux gendarmes dans une pirogue »
Pour le père de Colin, les recherches des autorités n’ont jamais vraiment démarré : «
Dans les jours suivants l’accident, nous avons dû nous débrouiller avec des personnes possédant des bateaux et des scooters des mers (Kayshwar Chand dit y avoir participé, ndlr).
On a eu des gens qui ont participé aux recherches spontanément. Des Amérindiens du village de Favard en aval nous ont aidé à chercher avec deux pirogues durant 2 jours. Nous fournissions l’essence. La gendarmerie nous avait dit que le corps devrait remonter au bout de 72 heures. Malgré cela, nous n’avons pu obtenir le moindre survol de la zone en hélicoptère par les autorités. Un gendarme de Cacao nous a dit que cela avait été demandé, sans succès. Alors, nous avons nous-même affrété un hélicoptère plusieurs heures, les 12 et 13 juillet. Pour le reste, les gens effectuant des recherches ont croisé, certaines demi-journées, deux gendarmes dans une pirogue jusqu’au 13 juillet. Et la brigade nautique a plongé deux fois, même si je reconnais que la zone est difficile avec des courants et une eau très sombre truffée de branches ». Claude et Danièle Boronat, les grands-parents de l’enfant disparu sont arrivés en Guyane
« le 9 juillet, dans l’avion que notre petit-fils devait prendre pour passer des vacances chez nous dans le Lot-et-Garonne » confie la grand-mère. «
Nous avons essayé plusieurs fois de joindre le préfet mais la préfecture ne nous rappelait pas. Le drame n’a pas été traité à la mesure de sa gravité » estime Danièle Boronat avant de murmurer : «
on sait bien que notre petit-fils est mort mais ce qu’on aurait bien aimé, c’est pouvoir le retrouver. C’est dur de ne pas savoir ce qu’il est devenu ». Le 13 juillet, par communiqué, la préfecture rappelle la réglementation pour les embarcations : elles doivent notamment disposer de brassières (gilets de sauvetage). Il n’y en avait pas dans le bateau d’où a été éjecté Colin Boronat selon son père.
« Quand il y a une loi des séries,
on est limite en terme de moyens »
Le 19 juillet, les parents de Colin rencontrent un avocat, maître Patrick Lingibé. Mercredi 25 juillet, ce dernier faxe au préfet une lettre dans laquelle il s’interroge sur «
l’absence d’informations » délivrées à la famille «
sur la nature et l’avancée des recherches », mais aussi sur «
l’absence de suivi psychologique d’Elaé Pelletier, la sœur de 15 ans du disparu », rescapée de l’accident «
et des autres membres de la famille ». L’avocat s’interroge aussi sur « l
es moyens mis en œuvre pour effectuer les recherches. Il appert que ceux-ci n’auraient pas été à la mesure de l’urgence et des investigations nécessaires ». Le lendemain de l’envoi de ce courrier, les parents reçoivent la visite de Philippe Bourgain, chef d’Etat major de la zone de défense à la préfecture de Guyane : «
L’accident a eu lieu la nuit, les recherches n’ont pas pu démarrer tout de suite et de manière efficace » admet le haut-fonctionnaire avec lequel nous nous sommes entretenus lundi 30 juillet. «
Les recherches n’ont jamais cessé » assure-t-il, «
elles sont moins importantes dans la mesure où on cherche un corps. Elles vont être un peu plus accentuées ces prochains jours puisqu’ avec l’arrivée de la saison sèche, les eaux vont baisser » poursuit Philippe Bourgain. «
Le samedi 28 juillet (soit 3 semaines après l’accident),
à la demande du préfet, il y a eu un survol de la zone par l’hélicoptère de la gendarmerie mais cela n’a rien donné » L’hélicoptère en question avait initialement été envoyé ce jour là, à la recherche de deux chasseuses de papillons perdues aux environs de Cacao depuis la veille. Après une nuit en forêt, la dame et une mineure avaient finalement retrouvé leur chemin, seules, le samedi matin. La mission de l’hélicoptère avait de ce fait été transformée en survol de la Comté. Dimanche 29 et lundi 30 juillet, en revanche aucun moyen de recherche des autorités n’a été déployé sur la Comté, nous l’avons constaté sur place.
Le soir du drame, une personne impliquée dans l'accident a transporté dans sa vedette deux blessés jusqu'au pont de la Comté, afin d'y attendre les pompiers.
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Du 15 juin au 10 juillet, trois accidents de bateaux sur les fleuves de Guyane ont provoqué trois morts et 5 blessés graves. «
Il est vrai qu’à l’occasion d’une loi des séries comme on vient d’avoir, on est limite en terme de moyens » reconnaît Philippe Bourgain interrogé sur ce point. «
A chaque fois, dans ce genre d’accident, en métropole, on peut compter sur la mobilisation des secours des départements voisins, c’est impossible en Guyane où l’on est très isolé » note Philippe Bourgain.
La vie est absurde et étrange. J’ai vu ce week-end, des Guyanais heureux de l’accueil au gîte proche de la Comté, en ce moment tenu, par les grands-parents Boronat. J’ai entendu d’autres gens leur faire part de leurs soucis d’appareils photos tombés à l’eau après un chavirage. Sans savoir. J’ai vu passer au gîte dimanche 29 juillet, monseigneur Emmanuel Lafont venu parler avec la famille : «
C’est extrêmement difficile, un deuil sans corps. C’est difficile pour les autorités de le comprendre » indique l’évêque. Frédéric Boronat, lui, se souvient : «
A la fin des années 90, nous avons vécu, avec une autre famille à l’Ilet la Mère. Durant trois ans et demi, je m’y occupais d’un élevage de singes pour l’Institut Pasteur. Colin est né quasiment là-bas. Le jour de sa naissance, c’est avec un « Boston » que j’ai amené sa mère accoucher à Cayenne. Le même type de bateau que le jour de l’accident ».