L’évolution de la société française, les attentes des populations et l’exigence de la démocratie participative imposent de plus en plus aux autorités la consultation des forces de la société civile comme préalable à la décision politique. Et, à cette fin, nous devons inventer un nouveau mode de gouvernance. Aussi, par sa pratique de l’échange des idées et des convictions dans le plus absolu respect de l’autre, le
Conseil Economique et Social (CES) est, au sein de nos institutions, un modèle de la démocratie participative. En dépit de son originalité et de l’importance de ses missions, il est très peu connu du grand public.
Assemblée représentative de la société civile organisée, le CES est la 3eme assemblée institutionnelle de la République, celle qui ouvre et oriente les débats de société pour que le Gouvernement propose, le Sénat améliore et l’Assemblée nationale décide. C’est une assemblée de professionnels, d’experts et de personnalités de qualités incontestables, et non de politiques, qui joue auprès du gouvernement et des pouvoirs publics le rôle institutionnel de recherche de consensus entre des représentants d’intérêts différents, d’expertise et de conseil.
Certes, face à l’existence d’une multitude de conseils (associations, syndicats salariés, groupements patronaux, …), le CES est la seule institution de la République qui réunit, autour d’une même table, l’ensemble des organisations jugées représentatives de la société civile, souvent idéologiquement programmées pour s’opposer. Un avis du CES, c’est en fait, pour le gouvernement, la photographie de l’état d’esprit exact, à un moment donné, sur une question donnée, de l’ensemble des forces économiques et sociales. Il exprime à la fois, d’une part, la ligne médiane consensuelle et, d’autre part, ce que pense la société civile, l’état d’esprit précis des forces économiques et sociales en présence, et non pas uniquement celle de l’une d’entre elles.
Les 231 membres du CES, que l’on retrouve pour la plupart dans diverses instances nationales et internationales, et répartis dans les 18 groupes représentant les diverses composantes de la société civile organisée, sont chacun désignés à l’échelle nationale par les instances dont ils sont issus. Mais, contrairement aux autres, les 9 conseillers du Groupe de l’Outre-Mer, un par collectivité, nommé par le Premier ministre, sont les représentants de toute la société civile de leur territoire. Au sein du CES, chaque groupe est constitué en association et dispose d’une structure administrative propre.
C’est dans les 9 Sections (Commissions), où toutes les composantes de la société civile sont représentées, que se réalise l’essentiel des travaux destinés notamment au Gouvernement (la préparation des études, des rapports et des projets d’avis qui seront examinés en assemblée plénière). De plus, à chaque section sont attachés des administrateurs et des membres de section, des spécialistes du champ de compétence des sections. Pour mener à bien cette entreprise, des études sont réalisées, des enquêtes sont menées, de nombreuses personnalités nationales et internationales sont auditionnées. Leur vocation est de nourrir les enjeux, de faciliter le débat serein, sans démagogie, de poser les questions, même les plus dérangeantes, de proposer des solutions concrètes et de rapprocher les idées et les hommes. Ces sections sont caractérisées par un ensemble d’attitudes et d’habitudes de dialogue et d’écoute mutuelle. Elles cherchent, toutes, toujours à concilier les points de vue plutôt qu’à les opposer.
Par la voix du Conseiller Economique et Social, la société civile guyanaise peut se faire entendre et jouer, aux côtés des pouvoirs publics, son rôle de force de propositions, de conseil et d’observateur de sa propre réalité. A charge pour lui de rassembler et de recueillir les points de vue des différents acteurs locaux pour en faire, autant que possible, une synthèse consensuelle, reflétant des avis objectifs que pourront alors partager l’ensemble des Guyanais, indépendamment de leur appartenance politique.
C’est en effet à ce niveau, en amont des projets de lois et libéré des passions politiques, que l’on est le mieux placé pour faire jouer les possibilités d’adaptation que nous offre la Constitution. J’y vois, pour tout dire, le lieu idéal pour mieux sensibiliser nos gouvernants à nos particularités.
Pour indispensable qu’elle soit, cette mission ne saurait être réussie que si je suis épaulé par une équipe dynamique et compétente. C’est la raison pour laquelle j’ai pris l‘initiative de créer la structure Expertise & Développement. Cette association, Club d’étude et de réflexion, est appelée à jouer le rôle d’expertise et d’aide à la décision.
Ses membres sont issus de tous les corps de métier, économiste, chef d’entreprise, journaliste, médecin, expert comptable. Il existe en fait une vraie complémentarité entre ceux qui scrutent les failles de la société guyanaise, auscultent les stratégies à l’œuvre en son sein, pointent les nouvelles inégalités et ceux qui radiographient, dans une politique comparative, les politiques sectorielles menées par les pouvoirs publics. Méthodes, démarches, réflexes, méfiances aussi. Tous se retrouvent autour de ce qui fait, au final, l’originalité d’E&D, c’est-à-dire la conviction qu’il y a un lien causal entre la pertinence du diagnostic et l’efficacité des solutions. Tout est là. Dès lors que l’expertise est faussée et que l’analyse est biaisée parce que fondée sur des représentations sociales obsolètes ou trop pleines d’idéologie, comment un responsable politique digne de ce nom pourrait-il s’engager durablement sur le terrain ardu de la réforme ? Changer la politique, est-ce finalement autre chose que changer son image ? La refonder sans vraiment la fréquenter, est-ce si difficile quand chacun accepte de faire son boulot ? Aux intellectuels, la description du réel ; et à partir de là, aux politiques, la définition des enjeux. Le constat fait programme. D’autant que la philosophie d’E&D est de refuser tout absolu ou ce qui prétend relever de lui. Nous ne comprenons que trop bien qu’il s’agit là d’une attitude qui enlève toute justification aux pamphlets et toute légitimité aux procès. Ce n’est pas avec elle que l’on peut pourfendre avec panache et stigmatiser avec férocité. Avons-nous un autre choix ? Nous vivons une époque de rupture, la fin d’une ère, où l’on voit le passé se disloquer et l’avenir s’embrumer. La Guyane change désormais bien plus vite que nos possibilités de la changer. Au confort des revendications ou aux litanies du manichéisme nous préférons le désir de comprendre, de décrypter, d’apprivoiser tout ce qui se produit de passionnant ou de déconcertant dans la Guyane actuelle. Cette Guyane finissante, on le voit, laisse peu à peu la place à une Guyane méconnaissable, de plus en plus préoccupante et torturée. On peut choisir de la laisser voguer, au rythme de l’insécurité et des tensions sociales. Pour notre part, nous avons choisi E&D, où le débat d’idées tient déjà une place de choix.
Expertise & Développement
Nestor RADJOU
Conseiller Economique et Social
nestor.radjou@ariasnet.fr