Lundi 11 octobre se déroulait à Cayenne le procès en appel du journaliste Frédéric Farine contre l’orpailleur Jean Bena.
Un procès exemplaire puisqu’il s’agissait de pressions exercées sur un journaliste dans le cadre de ses fonctions. Ce procès n’a pourtant fait l’objet que d’une brève sur les ondes de radio et télé Guyane, malgré la présence d’un journaliste de RFO radio qui a visiblement réalisé plusieurs interviews sur place.
Condamné en première instance, Jean Bena avait fait appel de cette décision, et comme en première instance, l’orpailleur était absent de l’audience.
Un nouveau témoin
Un nouveau témoin se présente ce lundi 11 octobre. Il s’agit d’un employé du Parc Naturel Régional qui a assisté à une partie de la scène depuis le balcon du PNR. Attiré par les cris, il était venu au balcon : "Béna criait" dit-il "J’ai vu deux baffes données par Monsieur Bena", dit le témoin, "Farine ne ripostait pas, il essayait de protéger son appareil photo".
Les circonstances
Frédéric Farine rappelle les circonstances : il sortait de la première matinée d’un procès pour meurtre à l’arme de guerre à Maripasoula, qu’il avait couvert pour RFO. Au cours de ce procès, rappelle Farine, l’ordonnance de mise en accusation de l’accusé précisait qu’il habitait au village Métal de Jean Bena, rive surinamaise (à 15 minutes de pirogue de Maripasoula), et qu’il s’était dénoncé sur l’insistance de Jean Béna, son employeur. C’est notamment d’avoir relaté ce fait sur RFO qui semble avoir déclenché la fureur de Jean Bena ce jour-là. Cité en qualité de témoin, Jean Bena ne se présentera pas à l’audience mais, accompagné d’un individu, agressera Frédéric Farine sur les marches du Palais juste après le procès, sous les yeux de son confrère Laurent Marot.
Frédéric Farine rappelle les paroles, entrecoupées de menaces, proférées par Jean Béna lors de son agression : "Pourquoi tu écris autant d’articles sur moi ? Pourtant je ne te dois pas d’argent ! A partir de maintenant, c’est fini, tu arrêtes d’écrire sur moi !".
Frédéric Farine conclut : "Depuis cette affaire, peut-être que l’intimidation a marché, parce que je n’ai plus écrit une ligne sur ce dossier."
Les faits sont simples
Pour Me Ewstifeieff (avocat de RFO), "les faits sont extrêmement simples", il s’agit de faire taire Frédéric Farine. "Jean Béna n’a jamais engagé la moindre action en diffamation publique contre Frédéric Farine alors qu’il l’a fait contre plusieurs autres journalistes "(1), dit l’avocate qui demande la confirmation du premier jugement.
A moins qu’on ne veuille cadenasser ce pays !
Me Lingibé (avocat du Syndicat National des Journalistes) redonne la définition juridique du terme de journaliste : "Sont journalistes au sens de l’article L761-2, ceux qui apportent une collaboration intellectuelle et personnelle à une publication périodique en vue de l’information des lecteurs, peu important qu’une carte professionnelle leur ait été remise". Me Lingibé précise que 2/3 de la profession est composée de pigistes et verse au dossier les statuts du SNJ déjà produits en première instance.
Me Lingibé cite un texte très fort de la Cour européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression :
(..) La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de pareille société, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. (..) elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de "société démocratique". (...). (2)
"A moins qu’on ne veuille cadenasser ce pays !" s’exclame Me Lingibé dans sa conclusion.
Le Ministère public demande confirmation de la condamnation. En première instance, Jean Bena avait été condamné à 4 mois de prison avec sursis, assortis de 3000 euros d’amende.
Le violent, c’est Farine !
Me Duhamel, l’avocate de l’accusé Jean Bena, intervient en dernier, comme il est de règle. Venue de Fort-de-France pour défendre ce dossier, l’avocate précise d’emblée que Jean Bena, cet homme d’origine bushinengé, père de 14 enfants, est un modèle de réussite pour sa communauté, mais qu’il a été "présenté comme tortionnaire, criminel, malfaiteur dans des articles particulièrement durs et tendancieux". "On s’interroge encore sur le fait que je le représente", poursuit-elle, "il a été obligé d’aller chercher de l’aide à l’extérieur, il fallait un autre regard sur ce dossier". Pour Me Duhamel, "on peut dire que Bena a été jugé sans avocat" en première instance. (Un propos qui va bien faire plaisir à Me Lama, le talentueux avocat de la première heure.) Me Duhamel s’exclame : "Le violent, c’est Farine, c’est Marot l’être violent !".
Me Duhamel revient aux Bushinengé à qui "on a laissé des miettes, parce qu’on a tout laissé aux multinationales" et s’étonne du fait que Jean Bena ait été cité à un procès comme étant l’employeur de l’accusé (le procès dont sortait Frédéric Farine au moment de l’agression, l’accusé ayant été défini comme un employé de Jean Bena, tantôt comme chasseur, tantôt comme agent de sécurité). Jean Béna, dit Me Duhamel "a des vigiles comme tous les supermarchés, il ne fait pas, lui, d’opérations anaconda, il protège". Elle évoque six plaintes pour diffamation déposées par Jean Bena et cite à plusieurs reprises internet pour expliquer que l’image de son client a été ternie dans le monde entier. "Ces plaintes ont toutes été rejetées pour vice de procédure " souligne-t-elle.(3) Me Duhamel reprend : "Le journalisme peut être une méthode fascisante pour détruire une famille. C’est une prise de position politique de détruire le Bushinengé. S’il [Farine] avait été un vrai journaliste, il n’aurait pas fait ça !"
Pour Me Duhamel "Bena est un homme d’une honnêteté rare" qui a subi une "torture morale". En s’appuyant sur le témoignage d’un agent témoin de la fin de l’agression (la dernière gifle) et qui n’est pas intervenu, considérant qu’il s’agissait "de faits de nature contraventionnelle", elle conteste les coups de poing reçus par Farine, parce que, dit-elle "un coup de poing de Jean Béna l’aurait assommé". "Monsieur Farine est un homme redoutable", poursuit Me Duhamel, "il l’a cherché !". Elle demande à la cour de "tenir compte de la personnalité de cette personne qui a poussé à bout ce père de famille". "Béna est une figure authentique de l’orpaillage, il a montré que même si on n’est pas allé à l’école on peut réussir, C’est une démarche pour disqualifier ce peuple". Pour Me Duhamel, son client a été "sali, traîné dans la boue, par Monsieur Farine".
Le jugement a été mis en délibéré au 22 novembre 2004.
Hors sujet
A aucun moment il ne sera question au cours du procès du fait que Jean Bena est actuellement sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré par un juge d’instruction du parquet de Cayenne à des fins de mise en examen pour exploitation irrégulière, travail dissimulé, aide au séjour irrégulier d’étrangers, faits de contrebande et détention d’armes de 2ème catégorie, et que plusieurs plaintes ont été déposées contre Jean Bena, au Brésil et en Guyane, par ses anciens employés clandestins.
Blada, 13 octobre 2004.
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