Les chercheurs du Département Recherche Innovation Santé Publique de l’hôpital de Cayenne ont présenté jeudi les résultats des études Guyaconso et Nutri pou Ti’Moun. Dans la première, plus de 1 600 ménages guyanais ont été interrogés sur leurs habitudes alimentaires. Jamais une telle enquête n’avait été menée sur le territoire. La seconde étude précise les difficultés pour s’alimenter auxquelles font face de nombreuses femmes enceintes. Les résultats permettront d’orienter les interventions de santé publique menées auprès de la population.
@Ronan Lietar
Début 2021, une étude du Centre Hospitalier de Cayenne avait révélé que deux tiers des personnes vivant dans les quartiers prioritaires et suivis par la Croix-Rouge française, Médecins du monde ou la permanence d’accès aux soins de santé (Pass) avaient souffert de la faim au cours du mois écoulé. Un an plus tard, l’étude Nutricampus avait montré qu’un étudiant sur deux, en Guyane, était en très faible sécurité alimentaire. Deux nouvelles études, l’une auprès de 1 % de la population du territoire, l’autre auprès de femmes accouchant dans les trois maternités de Guyane, apportent des informations plus précises quant à l’alimentation des Guyanais. Les résultats ont été présentés jeudi par le Département Recherche Innovation Santé Publique (Drisp) du Centre Hospitalier de Cayenne.
En 2022 et 2023, les enquêteurs du CHC, en partenariat avec l’IRD de Montpellier, se sont rendus au domicile de 1 651 ménages. Repas de la veille, composition détaillée des plats, poids, taille, etc.de nombreuses données ont été recueillies. La Guyane était jusque-là le seul territoire français à ne pas disposer d’informations aussi détaillées.
Elles révèlent une « faible diversité alimentaire et donc une faible adéquation nutritionnelle » des repas, une trop faible consommation de fruits et légumes, de produits laitiers, de céréales complètes, de noix et de graines. En revanche, la charcuterie et les boissons sucrées sont trop présentes par rapport aux recommandations. Un adulte sur trois est trop sédentaire et un sur trois effectue moins de trente minutes d’activité physique par jour. Les femmes sont plus concernées que les hommes.
Qu’il s’agisse des fruits et légumes (cinq par jour) ou des produits laitiers (deux portions par jour), les Guyanais en consomment moins de la moitié des recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS). A l’inverse, plus de quatre participants sur dix boit plus d’un verre de boisson sucrée par jour. La mesure du poids et de la taille a également montré que six Guyanais sur dix sont en surpoids voire obèses, les femmes étant plus touchés que les hommes. A l’opposé, la maigreur touche une personne sur dix.
Pour Romain Brochard, directeur général par intérim de l’ARS, cette enquête, ainsi que Nutri pou Ti’Moun, marque « un tournant décisif pour la santé publique en Guyane. Nous savons que les territoires ultramarins sont plus durement touchés par des pathologies comme l’obésité, le diabète ou l’hypertension – et la Guyane n’échappe pas à cette tendance. L’absence de données locales constituait donc une entrave majeure à l’efficacité de nos actions, et il était devenu impératif d’y remédier (…) Grâce à ces données, nous pourrons enfin adapter nos politiques de santé publique au contexte guyanais et affiner notre plan d’actions spécifique à la Guyane dans le cadre du nouveau Programme national nutrition santé (PNNS 5) qui sera co-construit avec les acteurs du territoire en 2025. »
Un enfant sur six ne prend pas de petit-déjeuner
Cinq cent neuf enfants ont répondu aux enquêteurs de Guyaconso. Un enfant sur six ne prend pas de petit-déjeuner, les filles davantage que les garçons. Seul un enfant sur quatre fait du sport en dehors de l’école (une fille sur cinq, un garçon sur trois). Les adolescents passent en moyenne quatre heures par jour devant un écran ; les plus jeunes, trois heures. Le surpoids ou l’obésité touche un tiers d’entre eux.
Dans le détail, Guyaconso montre qu’un quart des enfants ne consomment pas de fruits et autant ne consomment pas de légumes. La quasi-totalité boivent des boissons sucrées et 94,6 % déclarent manger habituellement des aliments gras (chips, biscuits apéritifs, mayonnaise…). Il n’y a pas de différence entre les filles et les garçons, ni en fonction de l’âge.
Une femme enceinte sur trois en insécurité alimentaire pendant sa grossesse
@Ronan Lietar
Comment s’alimentent les femmes enceintes en Guyane et à quelles difficultés font-elles face ? Quelles actions peuvent être menées pour les aider ? Comment est alimenté leur enfant pendant sa première année ? C’est à toutes ces questions qu’ambitionnent de répondre l’enquête Nutri pou ti’moun, menée par le Centre Hospitalier de Cayenne. Débuté en 2023 et prolongé jusqu’à l’an prochain, ce programme est construit en quatre étapes
Les résultats montrent qu’une femme sur trois a été en insécurité alimentaire durant sa grossesse et même une sur six en insécurité sévère. C’est-à-dire que ces futures mères étaient inquiètes de manquer de nourriture, mangeaient moins par manque d’argent, ne pouvaient pas acheter d’aliments bons pour la santé, ont dû sauter des repas ou réduire leurs portions, voire n’ont pas mangé du tout de la journée pour 9 %. Dans 15 % des ménages, les adultes avaient dû moins manger au cours des sept derniers jours pour pouvoir nourrir les enfants. « Le fait de n’avoir personne sur qui compter en cas de difficulté, de vivre seul avec ses enfants, de ne pas avoir de couverture médicale ou d’avoir l’Aide médicale d’urgence sont des facteurs associés avec l’insécurité alimentaire », constate le Dr Célia Basurko, qui a coordonné le programme.
Comme l’enquête Guyaconso, Nutri pou ti’moun montre une importante consommation de viande et de poisson, de boissons sucrées, de bouillons cubes, mais trop peu de fruits et de légumes. Au total, seule une femme sur deux atteint le seuil de diversité alimentaire permettant une adéquation avec les besoins en micronutriments. Enfin, l’obésité avant la grossesse concernait deux fois plus de femmes que dans l’Hexagone. Pour les auteurs de l’étude, les résultats montrent qu’il est nécessaire d’agir sur l’isolement social des femmes enceintes, leur protection sociale, leur estime de soi, l’accès à l’eau potable et l’électricité, ainsi que sur le capital financier. Des analyses du placenta prélevé à l’hôpital, dont les résultats ne sont pas encore connus, permettront d’en savoir davantage sur l’impact de ces difficultés à se nourrir pendant sa grossesse.
Pour Romain Brochard, directeur général par intérim de l’ARS, l’étude Nutri pou ti’moun « incarne notre volonté de lutter contre les inégalités nutritionnelles dès les premiers instants de la vie. Ces études contribueront ainsi à mieux comprendre les défis nutritionnels rencontrés dès les premiers mois de vie et guideront l’accompagnement que nous proposons aux jeunes familles guyanaises. La restitution de ces résultats) témoigne aussi de l’engagement de l’ARS Guyane, aux côtés de ses partenaires, à développer une recherche ancrée dans la réalité guyanaise pour accompagner et renforcer nos actions de santé publique. »
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