Glawdys Benth est patiente-experte de la drépanocytose. En 2022 et 2023, elle a suivi une formation à la Pitié-Salpêtrière et à Necker pour pouvoir parler de sa maladie à d’autres patients, pouvoir les conseiller, les orienter, les soutenir. Demain de 9 heures à 16 heures, à l’occasion de la Journée mondiale de la drépanocytose, elle interviendra lors des portes ouvertes du centre intégré drépanocytose à l’hôpital de Cayenne.
La drépanocytose, Glawdys Benth l’a découverte quand elle avait 6 ans. Lors de son diagnostic. C’était dans l’ancien hôpital Saint-Denis. Elle se souvient des douleurs, « très intenses, qu’on n’oublie pas comme ça », des multiples interdictions – « Pas de sport, pas de baignade » - des reproches d’être « fainéante », des multiples tabous autour d’une maladie que peu de personnes connaissaient et dont encore moins acceptaient de parler, et de cette annonce : « On m’avait dit que je ne vivrai pas au-delà de 19 ans. Enfant, je ne comprenais pas trop. Mais à l’adolescence, ça a pris du sens et ça a eu un impact. » Une autre époque. Presque un autre monde. Près de quarante ans après ce diagnostic, elle vient de devenir patiente-experte. Elle est la première, toutes pathologies confondues, en Guyane. Demain de 9 heures à 16 heures, elle effectuera sa première intervention en tant que telle, lors des portes ouvertes du centre intégré de la drépanocytose (CID) de l’hôpital de Cayenne, organisées pour la Journée mondiale de la drépanocytose.
Hospitalisée pendant plusieurs semaines
Glawdys Benth est née de parents porteurs sains et a été élevée par une de ses grands-mères. Enfant, elle souffre régulièrement d’atroces douleurs. Sa grand-mère finit par l’emmener aux urgences de l’hôpital Saint-Denis, où la maladie lui est diagnostiquée. Les connaissances sont encore lacunaires en Guyane. « En découvrant ma maladie, ma famille a posé de nombreux interdits », se souvient-elle. Elle est souvent hospitalisée, parfois pendant deux ou trois semaines. Bonne élève, elle finit par décrocher. Au début des années 1990, elle est transférée au centre intégré de la drépanocytose de Martinique, suite à une crise plus forte que les précédentes. Premier choc : « Ça a été une autre prise en charge. On a commencé à m’expliquer ma maladie. J’étais prise en charge par des personnes spécialisées », raconte-t-elle.
« Mes employeurs ne comprenaient pas mes absences »
Retour en Guyane. Adolescence. Et cette phrase annoncée plusieurs années plus tôt qui commence à faire sens dans son esprit : « On m’avait dit que je ne vivrais pas au-delà de 19 ans. Je me suis donc dit que j’allais profiter de la vie puisque j’allais mourir. » Sorties, amis, piscine. Et la maladie qui se rappelle brutalement à elle : douleurs, vertiges, vomissements. « Je me suis calmée et j’ai attendu mes 19 ans. » Elle rencontre celui qui deviendra son mari, dont elle a divorcé depuis. Premier travail. « Mes employeurs ne comprenaient pas mes nombreuses absences. Ils m’ont mise au placard (…) A l’époque, en Guyane, il ne fallait pas que je dise que j’avais la drépanocytose si je rencontrais un garçon, au travail ou même aux amis. » Départ pour l’Hexagone au début des années 2000. Nouveau choc !
« J’ai prise conscience et assumé la maladie »
« J’ai été mise en contact avec l’hôpital Henri-Mondor et le Pr Frédéric Galacteros (hématologue, auteurs de plusieurs ouvrages sur la drépanocytose, NDLR). C’est là que j’ai connu ma première vraie prise en charge, estime-t-elle. On me disait le contraire de ce que j’entendais ici. » Le Pr Galacteros l’oriente vers un psychologue. « C’est à ce moment que j’ai véritablement pris conscience de ce qu’était la maladie, que je l’ai assumée et que j’ai compris que ce que je faisais et mon hygiène de vie auraient un impact sur les crises. » Dix ans se passent. En 2013, Glawdys Benth rentre vivre en Guyane.
Retrouvailles avec son institutrice de CE2
Entre-temps, l’association DrépaGuyane, qui réunit des patients, des professionnels de santé, des proches de patients et des parents d’enfants malades, a été créée. Glawdys Benth y retrouve sa présidente, Marie-Elise Armoudon-Fleret, qui n’était autre que son… institutrice de CE2. « À l’époque, mes grands-parents étaient allés la voir pour lui dire que je ne devais pas faire de sport, pas participer aux sorties. Mais elle ne connaissait pas la maladie. » La future présidente la découvrira avec ses deux enfants malades.
En Guyane, progrès et tabous
Glawdys Benth devient un membre très actif de l’association, intègre le bureau, participe aux opérations de dépistage et de sensibilisation, aux interventions dans les écoles et les collèges. Elle vit également les progrès autour de la maladie : l’ouverture du CID de l’hôpital de Cayenne en 2014, les formations que propose chaque année le Pr Narcisse Elanga, chef de service de pédiatrie au CHC, aux membres de l’association, les progrès dans la prise en charge. Mais elle est encore le témoin de nombreuses difficultés. La quasi-totalité des écoliers et collégiens qu’elle interroge ignore tout de la drépanocytose. Le tabou autour de la maladie est encore important. Elle cite l’exemple d’un cousin « qui fait tout pour qu’on ne sache pas qu’il est malade, se cache quand il va au CID. Il sait que je sais mais on n’en parle pas. » La réticence de certains drépanocytaires vis-à-vis des professionnels de santé parfois suite à une expérience malheureuse : « Certains, lorsque les douleurs surviennent le vendredi soir, refusent d’aller aux urgences et attendent jusqu’au lundi l’ouverture du CID », regrette-t-elle. À force de témoigner, d’observer les autres patients, de s’intéresser à la maladie, d’autres membres de DrépaGuyane l’ont poussée à se former pour devenir patiente experte.
« J’ai envie que ça avance ! »
La formation s’étale sur les années 2022 et 2023. Elle est organisée en plusieurs modules – parcours de soins, expertise patient, recommandations HAS, prise de parole en public… - avec l’appui notamment de la Filière de santé maladies constitutionnelles rares du globule rouge et de l’érythropoïèse, et du Pr Marianne de Montalembert (Hôpital Necker et Réseau ouest-francilien de soins des enfants drépanocytaires). Sur les onze diplômés, elle est la seule vivant en Outre-mer. « La formation est intense, pas scolaire du tout, avec beaucoup de mises en situation », se souvient Glawdys Benth.
Alors que demain, elle effectuera sa première intervention en tant que patiente experte, elle perçoit ce que la formation lui a appris « dans ma façon d’aller vers les autres, dans ma façon de parler, pour dénouer aussi les conflits qui peuvent survenir entre un patient et un professionnel de santé. » Elle espère aussi parvenir à faire passer des messages, pour qu’il n’y ait plus de honte à parler de la maladie, pour que ceux qui n’ont pas bénéficié du dépistage obligatoire le fasse. « Je vois encore trop de personnes porteuses saines qui font des enfants sans savoir si leur partenaire est porteur ou pas ! » A travers son expérience, elle souhaite « apprendre aux malades à vivre avec la drépanocytose, les rapprocher des personnels soignants, leur apporter du soutien. J’ai envie que ça avance ! »
La drépanocytose touche environ un nouveau-né sur 200 en Guyane et environ 2 000 personnes au total. Chaque année, environ 40 nouveaux enfants naissent drépanocytaires. Le taux augmente d’année en année dans toute la France. Si environ 10 % de la population guyanaise est porteuse du gène, la répartition n’est pas uniforme sur le territoire : davantage d’habitants en sont porteurs dans l’Ouest, entre Saint-Laurent du Maroni et Grand-Santi. Créé en 2014, le centre intégré drépanocytose de l’hôpital de Cayenne (CDI) a vu le nombre de patients pris en charge augmenter de 60 % en moins de dix ans : 479 à son ouverture, 765 l’an dernier.
Dans un article publié en mars dans MTSI, le Pr Narcisse Elenga précise que « parmi les 175 593 nouveau-nés dépistés entre 1992 et 2021, le dépistage a permis de détecter 823 enfants drépanocytaires et 17 950 hétérozygotes. Les génotypes drépanocytaires comprennent 493 SS (60%), 302 SC (37%) et 28 S-Beta-thalassémie (3%). L'incidence de la drépanocytose était de 1 cas pour 213 naissances, celle des hétérozygotes de 1 cas pour 10 naissances. La majorité de ces enfants (52%) étaient originaires de la région du Maroni (…) Ces données confirment la tendance à l'augmentation du nombre d'enfants dépistés pour la drépanocytose en Guyane (…) Cette étude confirme que la Guyane est le territoire français où l'incidence de la drépanocytose est la plus élevée. »
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