Depuis avril et l’étude sur les violences faites aux femmes dans l’est guyanais, de nombreux acteurs de la prise en charge des victimes travaillent, autour de l’ARS, à l’élaboration d’une feuille de route. Plusieurs projets ont été présentés hier, dont une formation à destination notamment des professionnels de santé, prévue à la rentrée à Cayenne et début 2023 à Saint-Laurent du Maroni.
En mars, les résultats de l’étude d’Oyapock coopération santé (OCS) sur les violences faites aux femmes dans l’est guyanais ont fait l’effet d’un électrochoc. Les auteurs décrivent leur « banalisation », la fréquence des viols conjugaux, les difficultés pour protéger les victimes et la confrontation quasi quotidienne des professionnels de santé avec ce phénomène (Lire la Lettre pro du 8 avril).
Suite à ces résultats a été décidé d’élaborer une feuille de route contre les violences sexuelles, à l’échelle de tout le territoire, explique le Dr Sophie Biacabe, médecin de santé publique à l’Agence Régionale de Santé. Les travaux ont débuté en avril. Ils se sont notamment rapidement concrétisé par la rédaction de fiches réflexes, diffusées aux établissements de santé et aux ordres professionnels, pour faciliter les dépôts de plainte.
Ces travaux se sont poursuivis hier après-midi en présence des associations de prévention des violences sexuelles et d’aide aux victimes, des sages-femmes du réseau Périnat, de la protection maternelle et infantile (PMI), du Planning familial, des services sociaux, des magistrats ou encore d’Isabelle Hidair-Krivsky, déléguée régionale aux droits des femmes et à l’égalité. Les échanges vont se poursuivre pour aboutir à une feuille de route qui sera présentée vraisemblablement en novembre et fixera les orientations pour les deux années suivantes, précise le Dr Biacabe.
Plusieurs projets sont dans les tuyaux :
A l’UMJ, la moitié des victimes de violences sexuelles ont moins de 13 ans
Qui sont les victimes de violences sexuelles en Guyane et qu’ont-elles subi ? Pour tenter de répondre à ces questions, le Dr Victoire Menseau s’est plongée dans les 400 dossiers traités par l’unité médico-judiciaire de l’hôpital de Cayenne en 2019 et 2020. Ses travaux ont fait l’objet de sa thèse, soutenue en début d’année, et ont été présentés aux Journées des soignants, le mois dernier.
Parmi les 400 victimes, on compte 7 femmes pour 1 homme. Une victime sur deux avait moins de 13 ans ; les garçons étant généralement plus jeunes que les filles. Les tranches d’âge les plus représentées étaient les 5-10 ans chez les hommes et les 10-15 ans chez les femmes. La très large majorité étaient nées en Guyane (69,9 %) suivies par Haïti (12 %), le Brésil (7 %) et l’Hexagone (6 %).
L’agresseur est quasi exclusivement un homme (99,2 %) et très souvent connu de la victime (86,7 %). Il s’agissait généralement d’un ami ou connaissance (24 %), du conjoint ou de l’ex-conjoint (10 %), du beau-père (9 %), du père (8 %), de l’oncle (8 %), du frère (7 %), d’un cousin (4 %). 60 % des faits se sont déroulés au domicile de la victime.
La moitié des victimes ont subi des agressions répétées et/ou un viol ou une agression sexuelle
Dans un cas sur deux, les victimes décrivent des agressions répétées ; 58,5 % consultaient suite à un viol ou à une agression sexuelle avec pénétration. Dans une très large majorité des viols (82,3 %), l’agresseur n’utilisait pas de préservatif. Douze femmes sur 347 ont eu une grossesse avérée après les faits.
Sur près de 300 dossiers pour lesquels le délai de consultation était rapporté, celui-ci était supérieur à 72 heures dans 60 % des cas. « L’enjeu est principalement de prendre en charge les victimes le plus tôt possible, afin de pouvoir administrer le traitement post-exposition au VIH et permettre d’effectuer les prélèvements médico-légaux, explique le Dr Victoire Menseau (...) Le délai de consultation est très souvent supérieur à 72 heures, empêchant ainsi une prise en charge optimale. » C’est particulièrement le cas chez les moins de 20 ans. En revanche, il est plus court quand l’agresseur était inconnu ou quand la victime avait subi des menaces de mort.
192 femmes (57 %) présentaient des lésions génitales ; 11,3 % déclaraient avoir des idées suicidaires. « Une consultation psychologique était recommandée pour 61,8 % des victimes », précise le Dr Menseau. La moitié des victimes (51 %) ont bénéficié de prélèvements infectieux, plus d’un quart (28,8 %) des prélèvements médico-légaux et 6 % des prélèvements toxicologiques ; une victime sur cinq a reçu des antirétroviraux et à peine moins une contraception d’urgence.
Cette thèse montre aussi une baisse des consultations à l’UMJ pour agression sexuelle en 2020 pendant les périodes de confinement ou de restriction de déplacement les plus fortes.
Des violences conjugales quasi quotidiennes
En 2013-2014, une Guyanaise sur dix se disait victime de violences physiques ou sexuelles au sein de son ménage, selon une étude de l’Insee. Ce sujet, peu étudié sur le territoire, était l’objet de la thèse de Margaux Fouillet, soutenue en début d’année et présentée aux Journées des soignants, le mois dernier à Cayenne. Cette fois-ci, la future médecin s’est intéressée à l’ensemble des victimes de violences conjugales pour lesquelles un examen médico-légal, au sein de l’unité médico-judiciaire (UMJ) de l’hôpital de Cayenne, a été requis par un officier de police ou de gendarmerie, entre le 1er juin 2019 et le 31 décembre 2020. Elle en a recensé 466 en 577 jours, soit quasiment 6 par semaine ! C’est-à-dire que chaque jour, sauf le dimanche, l’UMJ prend en charge une victime de violences conjugales sur réquisition des forces de l’ordre.
Ces victimes sont :
Coups de poing, bousculades et viols
Les violences physiques sont rapportées dans la quasi-totalité des cas (94,8 %) : gifles ou coups de poing au visage dans plus de la moitié des cas (59 %), une sur deux a été jetée au sol ou bousculée, près d’une sur cinq (18,5 %) signale des violences sexuelles « allant du harcèlement aux rapports sexuels imposés par la violence, la menace, la contrainte ou la surprise, ainsi que des tentatives ». Ces violences ont généralement lieu dans la soirée (38 %), chez la victime (50 %) et avec des enfants comme témoins (59 %).
« Il existe un retentissement psychologique chez au moins 82 % des victimes, avec diverses manifestations possibles plus ou moins intriquées, réalisant parfois un véritable état de stress post-traumatique : troubles du sommeil (difficultés d’endormissement, insomnie, réveils nocturnes, cauchemars), peur des représailles, peur de mourir, ruminations anxieuses, reviviscence de la scène traumatique, troubles de l’humeur (tristesse, pleurs répétés, idées noires, perte de l’élan vital, repli sur soi), état d’hyper vigilance, conduites d’évitement (peur de le croiser, isolement social), sentiments de honte, culpabilité, colère, inquiétude pour les enfants, conduites addictives exacerbées, troubles alimentaires (perte d’appétit), souligne le Dr Fouillet. Vingt-deux femmes rapportent avoir eu des idées suicidaires récentes ou anciennes en lien avec les faits de violence. »
L’UMJ ne voit que « la partie émergée de l’iceberg »
A peu près la même proportion (78,1 %) « rapportent des douleurs persistantes au moment de la consultation ; 68,9 % des victimes ont des lésions contuses objectivées par le médecin légiste (hématomes, ecchymoses, tuméfaction, abrasions, excoriations), uniques ou multiples, coexistant parfois entre elles sur plusieurs zones anatomiques ». Quatre entorses et sept fractures avaient été constatées sur des femmes durant cette période. Au total, 8,6 % ont bénéficié d’une prise en charge médicale et huit ont été hospitalisées : trois suite à une fracture du radius, une pour une fracture des os propres du nez et de la mandibule, trois femmes enceintes en gynécologie-obstétrique et « une femme en service de psychiatrie pour trouble anxio-dépressif avec présence d’idées suicidaires ». Plus d’une victime sur quatre (28,5 %) a eu un rendez-vous programmé avec la psychologue de l’UMJ et 13,1 % ont été orientées en externe auprès de l’Arbre fromager.
« Il ressort des violences qui apparaissent souvent graves et répétées, des violences psychologiques minimisées, des violences par strangulation ou avec utilisation d’une arme, des violences sexuelles fréquentes, des victimes particulièrement vulnérables (en dépendance financière, femmes enceintes) et des enfants qui sont d’emblée des co-victimes. Une victime sur deux présente des critères alertant sur un danger imminent pour sa vie, conclut le Dr Fouillet (…) Ces statistiques illustrent ce qui est en réalité « la partie émergée de l’iceberg » et doivent amener à un travail plus poussé de recueil de données en population générale et plus largement sur le territoire guyanais, aussi vaste soit-il. ».
Un risque d’homicide conjugal dans un cas sur deux
« Depuis le 1er juin 2019, l’unité médico-judiciaire de l’hôpital de Cayenne, qui reçoit les victimes de violences conjugales sur réquisition judiciaire, a mis en place une procédure de signalement permettant d’alerter les autorités d’un danger imminent pour la vie de la victime, en présence de certains critères, explique le Dr Fouillet. Neuf signes avant-coureurs d’homicide conjugal ont été identifiés dans la littérature :
Un signalement est fait au procureur de la République dès lors que le score atteint 4/9. Ce fut le cas à 205 reprises, « ce qui témoigne de la gravité des actes de violence commis », souligne le Dr Fouillet dans sa thèse.
Cet article est issu de la Lettre pro de l’Agence régionale de santé. Vous pouvez vous y abonner en remplissant le formulaire suivant : https://forms.sbc28.com/5a8bed50b85b5350ef1cd117/t13M7zUZQi2XMq5E3DdnhQ/0WQoeDwjRXqJblCpKbLDzA/form.html
Since April and the study on violence against women in eastern French Guiana, many actors in the care of victims have been working, around the ARS, to develop a roadmap. Several projects were presented yesterday, including training aimed in particular at health professionals, planned for the start of the school year in Cayenne and in early 2023 in Saint-Laurent du Maroni.
In March, the results of the Oyapock Health Cooperation (OCS) study on violence against women in eastern French Guiana came as a shock. The authors describe their "trivialization", the frequency of marital rape, the difficulties in protecting the victims and the almost daily confrontation of health professionals with this phenomenon (Read the Professional Letter of April 8).
Following these results, it was decided to draw up a roadmap against sexual violence, on the scale of the whole territory, explains Dr Sophie Biacabe, public health doctor at the Regional Health Agency. Work began in April. In particular, they quickly materialized through the drafting of reflex sheets, distributed to health establishments and professional orders, to facilitate the filing of complaints.
This work continued yesterday afternoon in the presence of associations for the prevention of sexual violence and assistance to victims, midwives from the Périnat network, maternal and child protection (PMI), family planning, social services , magistrates or Isabelle Hidair-Krivsky, regional delegate for women's rights and equality. The exchanges will continue to lead to a roadmap which will probably be presented in November and will set the guidelines for the next two years, specifies Dr Biacabe.
Several projects are in the works:
At the UMJ, half of the victims of sexual violence are under 13 years old
Who are the victims of sexual violence in French Guiana and what have they suffered? To try to answer these questions, Dr. Victoire Menseau immersed herself in the 400 cases handled by the medico-judicial unit of the Cayenne hospital in 2019 and 2020. Her work was the subject of her thesis, supported at the beginning of the year, and were presented at Caregiver Days last month.
Among the 400 victims, there are 7 women for 1 man. One out of two victims was under 13; boys are generally younger than girls. The most represented age groups were 5-10 years for men and 10-15 years for women. The vast majority were born in French Guiana (69.9%) followed by Haiti (12%), Brazil (7%) and France (6%).
The aggressor is almost exclusively a man (99.2%) and very often known to the victim (86.7%). It was generally a friend or acquaintance (24%), spouse or ex-spouse (10%), father-in-law (9%), father (8%), uncle (8%), brother (7%), cousin (4%). 60% of the events took place at the victim's home.
Half of victims suffered repeated assaults and/or rape or sexual assault
In one out of two cases, the victims describe repeated attacks; 58.5% consulted following rape or sexual assault with penetration. In a very large majority of rapes (82.3%), the aggressor did not use a condom. Twelve women out of 347 had a proven pregnancy after the fact.
Of nearly 300 files for which the consultation time was reported, it was greater than 72 hours in 60% of cases. "The challenge is mainly to take care of the victims as soon as possible, in order to be able to administer post-exposure treatment to HIV and to allow for the taking of forensic samples, explains Dr. Victoire Menseau (...) The consultation time is very often greater than 72 hours, thus preventing optimal care. This is particularly the case among those under 20. On the other hand, it is shorter when the aggressor was unknown or when the victim had suffered death threats.
192 women (57%) had genital lesions; 11.3% said they had suicidal thoughts. "A psychological consultation was recommended for 61.8% of the victims", specifies Dr. Menseau. Half of the victims (51%) benefited from infectious samples, more than a quarter (28.8%) from forensic samples and 6% from toxicological samples; one in five victims received antiretrovirals and just under emergency contraception.
This thesis also shows a drop in consultations at the UMJ for sexual assault in 2020 during the strongest periods of confinement or travel restrictions.
Almost daily domestic violence
In 2013-2014, one in ten Guianese women said they were victims of physical or sexual violence within their household, according to an INSEE study. This subject, little studied on the territory, was the subject of the thesis of Margaux Fouillet, defended at the beginning of the year and presented at the Caregiver Days, last month in Cayenne. This time, the future doctor was interested in all the victims of domestic violence for whom a medico-legal examination, within the medico-judicial unit (UMJ) of the hospital of Cayenne, was required by a police or gendarmerie officer, between June 1, 2019 and December 31, 2020. She identified 466 in 577 days, or almost 6 per week! That is to say that every day, except Sunday, the UMJ takes care of a victim of domestic violence at the request of the police.
These victims are:
Punches, shoves and rapes
Physical violence is reported in almost all cases (94.8%): slaps or punches in the face in more than half of cases (59%), one out of two was thrown to the ground or jostled, nearly one in five (18.5%) reports sexual violence “ranging from harassment to sexual intercourse imposed by violence, threat, coercion or surprise, as well as attempts”. This violence generally takes place in the evening (38%), at the victim's home (50%) and with children as witnesses (59%).
"There is a psychological impact in at least 82% of the victims, with various possible more or less intricate manifestations, sometimes realizing a real state of post-traumatic stress: sleep disorders (difficulty falling asleep, insomnia, nocturnal awakenings, nightmares) , fear of reprisals, fear of dying, anxious ruminations, reliving the traumatic scene, mood disorders (sadness, repeated crying, dark thoughts, loss of vital momentum, withdrawal), state of hypervigilance, avoidance behavior (fear of meeting him, social isolation), feelings of shame, guilt, anger, concern for children, exacerbated addictive behavior, eating disorders (loss of appetite), underlines Dr Fouillet. Twenty-two women reported having had recent or old suicidal thoughts in connection with the acts of violence. »
The UMJ only sees “the tip of the iceberg”
About the same proportion (78.1%) “reported persistent pain at the time of the consultation; 68.9% of victims have contused lesions objectified by the medical examiner (hematomas, bruises, swelling, abrasions, excoriations), single or multiple, sometimes coexisting between them on several anatomical areas”. Four sprains and seven fractures had been observed on women during this period. In total, 8.6% benefited from medical care and eight were hospitalized: three following a fracture of the radius, one for a fracture of the bones of the nose and mandible, three pregnant women in gynecology- obstetrics and "a woman in psychiatry for an anxiety-depressive disorder with the presence of suicidal thoughts". More than one in four victims (28.5%) had a scheduled appointment with the UMJ psychologist and 13.1% were referred externally to the cheese tree.
"It emerges from violence which often appears serious and repeated, minimized psychological violence, violence by strangulation or with the use of a weapon, frequent sexual violence, particularly vulnerable victims (in financial dependence, pregnant women) and children who are immediately co-victims. One out of two victims presents criteria warning of an imminent danger to their life, concludes Dr Fouillet (…) These statistics illustrate what is actually “the tip of the iceberg” and should lead to more extensive collection work of data in the general population and more broadly in French Guiana, however vast it may be. ".
A risk of spousal homicide in one out of two cases
"Since June 1, 2019, the medico-judicial unit of the Cayenne hospital, which receives victims of domestic violence on judicial requisition, has implemented a reporting procedure to alert the authorities of an imminent danger. for the life of the victim, in the presence of certain criteria, explains Dr. Fouillet. Nine warning signs of spousal homicide have been identified in the literature:
A report is made to the public prosecutor when the score reaches 4/9. This was the case 205 times, "which testifies to the seriousness of the acts of violence committed", underlines Dr. Fouillet in his thesis.
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