Deux chercheurs du CNRS travaillent sur la manière dont certains consommateurs de plantes de la pharmacopée traditionnelle s’adaptent à une maladie nouvelle : la Covid-19. L’un de leurs principaux résultats est que, de par ses symptômes, la Covid-19 est associé à des maladies déjà connues, d’où un recours aux mêmes plantes que celles utilisées pour soigner celles-ci.
Comment adapte-t-on ses savoirs vis-à-vis d’une situation de crise ? Comment les médecines locales s’adaptent-elles à la Covid-19 ? C’est ce qu’ont voulu savoir Guillaume Odonne et Marc-Alexandre Tareau. Le premier est responsable de l’unité Ethnoécologie et dynamique culturelle au centre nationale de recherche scientifique (CNRS), à Cayenne ; le second est post-doctorant dans la même unité. Depuis avril, Marc-Alexandre Tareau a réalisé une quarantaine d’entretiens avec des Créoles guyanais utilisateurs de plantes de la pharmacopée traditionnelle pour savoir comment ils adaptent leurs connaissances à une maladie nouvelle : la Covid-19. C’est l’objet de l’étude MéloCovid, financée par des fonds européens dans le cadre de l’appel à projets de la CTG Flash Covid.
« Un des résultats phares, c’est que la Covid-19 n’est pas perçu comme une maladie nouvelle. Elle est associée à d’autres maladies qui ont les mêmes symptômes : fièvre, problèmes respiratoires…, expliquent-ils. La Covid-19 est perçu comme quelque chose de déjà existant, qui se traite comme le palu, le zika, le chikungunya. C’est la base de sélection des plantes. »
La pharmacopée créole s’appuie sur la théorie des humeurs. Quatre humeurs circulent dans le corps : le sang, le phlegme, la bile jaune et l’atrabile. Un bon équilibre entre les quatre est un gage de bonne santé. La maladie est le fruit d’un déséquilibre entre elles. Les plantes vont aider à le rétablir : « Si on souffre d’une maladie chaude, on prend des plantes froides ; si on souffre d’une maladie froide, on prend des plantes chaudes », résume Guillaume Odonne.
Pour sa quarantaine d’entretiens, Marc-Alexandre Tareau a interrogé des consommateurs de son réseau de connaissances. « Pas seulement des spécialistes », précise-t-il. Ils lui en ont présenté d’autres et les entretiens se sont multipliés ainsi. Contre la Covid-19, les plantes sont d’abord utilisées en prévention. Toutes les personnes interrogées l’ont mentionné. « C’est un volet très important de la médecine créole. Et c’est perçu comme très efficace : tous ceux qui prennent des plantes et n’ont pas attrapé la Covid mentionnent le fait d’en avoir pris comme l’une des explications. » En cas de contamination, « les plantes utilisées sont globalement les mêmes, mais la pratique est différente. En préventif, ils les consomment généralement en macération ou en décoction. En cas de contamination, ce peut être un bain, des frictions, des cataplasmes. »
« Les maladies dont le principal symptôme est la fièvre sont traitées avec des plantes amères, rappelle Marc-Alexandre Tareau. Pour la Covid, ils prennent les mêmes. La Covid est perçu comme une nouvelle maladie à fièvre. » Conséquence : « Si on a le sentiment de pouvoir se soigner tout seul, on n’a pas besoin de prendre le vaccin. » Parmi les personnes interrogées, les vaccinées sont minoritaires. « Pour beaucoup de maladies infectieuses, nous avons 30 à 40 % des consommateurs de plantes traditionnelles qui associent médecine occidentale, constate Guillaume Odonne. A Saint-Georges, contre le paludisme, la moitié de la population associe plantes traditionnelles et traitements du dispensaire (CDPS). Mais comme le Covid-19 ne fait pas beaucoup peur, il y a peu de comédication. »
La pharmacopée traditionnelle innove
Les plantes traditionnelles sont souvent perçues comme quelque chose de figé. De précédents travaux des deux chercheurs ont déjà montré que ce n’est pas le cas. Pour sa thèse, la première soutenue en anthropologie depuis la création de l’Université de Guyane, Marc-Alexandre Tareau a étudié l’utilisation des plantes traditionnelles par les jeunes urbains du littoral. Une pandémie comme la Covid-19 a aussi fait bouger les habitudes. « C’est une maladie mondialisée qui a un impact sur la phytothérapie locale », constate-t-il.
Des plantes vantées ailleurs ont trouvé un écho ici. La Guyane a eu son moment « zeb a pik » (Neurolaena lobata), populaire en Guadeloupe. L’artémisia de Madagascar (Artemisia annua) est recherchée. « Tout le monde en cherche parce qu’elle est très évoquée sur les réseaux sociaux. Mais parmi les personnes interrogées, trois en ont réellement consommé. Ceux qui en trouvent en parlent comme s’il s’agissait de contrebande. Une dame qui en vend me dit que quand elle en reçoit, tout part en une heure, que les gens se passent le message pour aller en chercher », relate Marc-Alexandre Tareau.
Parmi les plantes locales, « le couachi se diffuse de ouf !, s’étonne Guillaume Odonne. On en voit être planté à Camopi, alors qu’il y en avait très peu dans l’intérieur. » Marc-Alexandre Tareau a également mené des entretiens à Saül, pour voir si les pratiques étaient différentes. Là-bas, les écorces d’espèces sylvestres sont davantage utilisées, comme le maria congo (Geissospermum spp.).
Outre le couachi, les utilisateurs consomment volontiers lianes amères, chenille-trèfle (grenn anba fey), gingembre, citron, ail, sorossi. « Toutes les plantes utilisées dans les pathologies respiratoires », listent les deux chercheurs. Le beurre de muscade, tombé en désuétude, « est un traitement que l’on voit ressortir ». Il est utilisé en pommade pour se masser les bronches. Les sirops sont également prisés.
Dans les prochains mois, Marc-Alexandre Tareau compte poursuivre ses entretiens. Peut-être auprès d’une autre communauté. Creuser la provenance des connaissances : « Est qu’on est dans quelque chose de très intracommunautaire ou, au contraire, la Covid a-t-il créé des ponts entre communautés ? »
La médecine traditionnelle recèle de nombreux bienfaits mais la prudence doit rester de mise et des essais stricts doivent être menés
La médecine traditionnelle, complémentaire et alternative recèle de nombreux bienfaits. « Des plantes médicinales telles que l’artemisia annua sont considérées comme des traitements possibles du Covid-19, mais des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables, rappelle toutefois l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Tout le monde mérite d’utiliser des médicaments testés selon les normes qui s’appliquent aux médicaments fabriqués pour les populations du reste du monde. Même lorsque des traitements sont issus de la pratique traditionnelle et de la nature, il est primordial d’établir leur efficacité et leur innocuité grâce à des essais cliniques rigoureux. »
C’est ainsi que lors du comité régional de l’OMS pour l’Afrique, en 2000, « les gouvernements africains ont adopté une résolution sur la médecine traditionnelle dans laquelle les États-membres étaient invités à générer des données factuelles sur la sécurité, l’efficacité et la qualité de la médecine traditionnelle. Les pays étaient aussi invités à effectuer des recherches pertinentes et à demander aux autorités nationales de réglementation pharmaceutique à approuver les médicaments conformément aux normes internationales, qui préconisent notamment que le produit suive un protocole de recherche strict et soit soumis à des tests, ainsi qu’à des essais cliniques. » C’est ainsi que « l’OMS œuvre de concert avec les instituts de recherche pour sélectionner les produits issus de la pharmacopée traditionnelle sur lesquels des investigations peuvent être menées afin de déterminer leur efficacité clinique et leur innocuité dans le traitement du Covid-19 ». Ces dernières années, « 89 produits issus de la pharmacopée traditionnelle répondant aux normes d’homologation internationales et nationales établies » ont été mis sur le marché, par exemple. Ils font « désormais partie de l’arsenal qui permet de traiter les patients atteints d’un large éventail de maladies comprenant le paludisme, les infections opportunistes liées au VIH, le diabète, la drépanocytose et l’hypertension ».
« Au moment où des efforts sont faits pour trouver un traitement au Covid-19, la prudence doit rester de mise pour ne pas verser dans la désinformation, particulièrement sur les médias sociaux, au sujet de l’efficacité de certains remèdes, met en garde l’OMS. De nombreuses plantes et substances sont proposées alors qu’elles ne répondent pas aux normes minimales de qualité, d’innocuité et d’efficacité et qu’aucun élément factuel n’atteste du respect de ces normes. L’utilisation de produits destinés au traitement du Covid-19, mais qui n’ont pas fait l’objet d’investigations strictes, peut mettre les populations en danger et les empêcher d’appliquer des mesures telles que le lavage des mains et la distanciation physique qui pourtant sont des éléments cardinaux de la prévention du virus. Cela peut aussi accentuer le recours à l’automédication et accroître le risque pour la sécurité des patients. »
Cet article est issu de la Lettre pro de l’Agence régionale de santé. Vous pouvez vous y abonner en remplissant le formulaire suivant : https://forms.sbc28.com/5a8bed50b85b5350ef1cd117/t13M7zUZQi2XMq5E3DdnhQ/0WQoeDwjRXqJblCpKbLDzA/form.html
Two CNRS researchers are working on how certain consumers of plants from the traditional pharmacopoeia adapt to a new disease: Covid-19. One of their main results is that, by virtue of its symptoms, Covid-19 is associated with already known diseases, hence the use of the same plants as those used to treat them.
How do you adapt your knowledge to a crisis situation? How are local medicines adapting to Covid-19? This is what Guillaume Odonne and Marc-Alexandre Tareau wanted to know. The first is responsible for the Ethnoecology and Cultural Dynamics Unit at the National Center for Scientific Research (CNRS), in Cayenne; the second is a post-doctoral fellow in the same unit. Since April, Marc-Alexandre Tareau has conducted around forty interviews with Guyanese Creoles users of plants from the traditional pharmacopoeia to find out how they are adapting their knowledge to a new disease: Covid-19. This is the subject of the MéloCovid study, funded by European funds as part of the CTG Flash Covid call for projects.
“One of the key results is that Covid-19 is not seen as a new disease. It is associated with other diseases which have the same symptoms: fever, respiratory problems ..., they explain. Covid-19 is perceived as something that already exists, which is treated like malaria, zika, chikungunya. This is the basis for plant breeding. "
The Creole pharmacopoeia is based on the theory of moods. Four humours circulate in the body: blood, phlegm, yellow bile and atrabile. A good balance between the four is a guarantee of good health. The disease is the result of an imbalance between them. The plants will help restore it: “If you have a hot disease, you take cold plants; if you suffer from a cold disease, you take hot plants,” summarizes Guillaume Odonne.
For his forty interviews, Marc-Alexandre Tareau interviewed consumers from his network of acquaintances. “Not just specialists,” he explains. They introduced him to others, and the talks multiplied as well. Against Covid-19, plants are first used in prevention. All the interviewees mentioned it. "This is a very important part of Creole medicine. And it's seen as very effective: Anyone who takes plants and has not caught the Covid cites taking them as one of the explanations. "In the event of contamination," the plants used are generally the same, but the practice is different. As a preventive measure, they generally consume them in maceration or in decoction. In case of contamination, it can be a bath, friction, poultices. "
"Diseases whose main symptom is fever are treated with bitter plants," recalls Marc-Alexandre Tareau. For the Covid, they take the same. Covid is seen as a new fever disease. Consequence: "If you feel like you can heal yourself, you don't need to take the vaccine. ”Among the people questioned, the vaccinated are in the minority. "For many infectious diseases, we have 30 to 40% of consumers of traditional plants who combine Western medicine," says Guillaume Odonne. In Saint-Georges, against malaria, half of the population combines traditional plants and treatment from the dispensary (CDPS). But since Covid-19 is not very scary, there is little comedication. "
The traditional pharmacopoeia innovates
Traditional plants are often seen as something frozen. Previous work by the two researchers has already shown that this is not the case. For his thesis, the first to be defended in anthropology since the creation of the University of French Guiana, Marc-Alexandre Tareau studied the use of traditional plants by young urbanites on the coast. A pandemic like the Covid-19 has also changed habits. "It is a globalized disease that has an impact on local herbal medicine," he notes.
Plants touted elsewhere have found an echo here. French Guiana had its “zeb a pik” (Neurolaena lobata) moment, popular in Guadeloupe. Madagascar artemisia (Artemisia annua) is sought after. “Everyone is looking for it because it gets a lot of attention on social media. But among those questioned, three actually consumed it. Those who find it speak of it as if it were contraband. A lady who sells them tells me that when she receives them, everything goes in an hour, that people pass the message to each other to get them, ”recounts Marc-Alexandre Tareau.
Among the local plants, "the couachi spreads very quickly!" Wonders Guillaume Odonne. “We see it being planted in Camopi, while there was very little in the interior.” Marc-Alexandre Tareau also conducted interviews with Saul, to see if the practices were different. more forest species are used, such as maria congo (Geissospermum spp.).
Besides couachi, users readily consume bitter lianas, caterpillar-clover (grenn anba fey), ginger, lemon, garlic, sorossi. "All the plants used in respiratory pathologies", list the two researchers. Nutmeg butter, which has fallen into disuse, "is a treatment that is emerging." It is used as an ointment to massage the bronchi. Syrups are also popular.
In the coming months, Marc-Alexandre Tareau intends to continue his talks. Maybe from another community. Explore the source of knowledge: "Are we in something very intra-community or, on the contrary, has the Covid created bridges between communities? "
Traditional medicine has many benefits, but caution must be exercised and strict trials must be carried out.
Traditional, complementary and alternative medicine has many benefits. "Medicinal plants such as artemisia annua are considered as possible treatments for Covid-19, but trials should be carried out to assess their effectiveness and determine their adverse effects, however, recalls the World Health Organization (WHO). Everyone deserves to use drugs that have been tested to standards that apply to drugs made for people around the world. Even when treatments are derived from traditional practice and nature, it is essential to establish their efficacy and safety through rigorous clinical trials. "
For example, during the WHO regional committee for Africa in 2000, “African governments adopted a resolution on traditional medicine in which member states were invited to generate evidence on safety, the effectiveness and quality of traditional medicine. Countries were also encouraged to conduct relevant research and request national drug regulatory authorities to approve drugs in accordance with international standards, which include requiring the product to follow a strict research protocol and be tested, as well as to clinical trials. "This is how" WHO is working with research institutes to select products from the traditional pharmacopoeia on which investigations can be carried out in order to determine their clinical efficacy and safety in the treatment of Covid-19 ". In recent years, "89 products from the traditional pharmacopoeia meeting established international and national approval standards" have been placed on the market, for example. They are "now part of the arsenal for treating patients with a wide range of illnesses including malaria, opportunistic HIV infections, diabetes, sickle cell anemia and hypertension."
"At a time when efforts are made to find a treatment for Covid-19, caution must remain in order not to fall into disinformation, particularly on social media, about the effectiveness of certain remedies, warns WHO. Many plants and substances are offered even though they do not meet minimum standards for quality, safety and efficacy and there is no evidence that these standards have been met. The use of products intended for the treatment of Covid-19, but which have not been the subject of strict investigations, can put populations at risk and prevent them from applying measures such as hand washing and washing. physical distancing which nevertheless are cardinal elements of the prevention of the virus. It can also increase the need for self-medication and increase the risk to patient safety. "
This article is from the Professional Letter of the Regional Health Agency. You can subscribe to it by filling out the following form: https://forms.sbc28.com/5a8bed50b85b5350ef1cd117/t13M7zUZQi2XMq5E3DdnhQ/0WQoeDwjRXqJblCpKbLDzA/form.html
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