Madame le Ministre,
Un site d’information (Guyaweb, le 24/09/2014) annonce que la Guyane bénéficiera de 18 REP + pour la rentrée 2015.
Notre propos débute par une question : quelle école voulons-nous pour la Guyane?
- Le Recteur actuel de Guyane multiplie le même leitmotiv : le REP + serait la panacée aux difficultés en Guyane. Fichtre !
Pourtant, depuis les Zones d'Education Prioritaires (ZEP) des années 80 jusqu'au Réseau d'éducation prioritaire (REP) des années 2010 (en passant par les zones sensibles, les ECLAIR, ...), l''Education prioritaire n'a guère freiné l'inégalité scolaire. Bien au contraire (INSEE, enquêtes PISA, ...).
Il y a d'abord une théorie que nous partageons : "plus c'est difficile, plus les acteurs sont à l'abri", i.e. plus le contexte professionnel est difficile (CSP défavorisés, établissement implanté dans un ghetto social, ...) plus les enseignants sont à l'abri (pas ou peu de pression institutionnelle, pas ou peu de pression parentale). C’est une théorie qui s’applique partout (Créteil, Quartiers nord de Marseille, Mayotte, …). Il ne s'agit pas ici de nier l'implication ou le professionnalisme des personnels, loin de là. Mais ces acteurs, dans leur très grande majorité, font "relâche" dans l'ambition pour leurs élèves et leur degré d'exigence. Les raisons en sont multiples mais il y a là une dimension insuffisamment traitée par les « penseurs » qui vous entourent.
Il y a aussi pour tous le rapport brutal à un monde fragilisé dans ses valeurs et qui subit des mutations toujours plus rapides. Nos enfants ne vivent plus dans un monde de promesses (emploi, perspectives, élévation sociale, projections, ...) mais dans un monde de doutes et d'angoisses (chômage, violence, individualisme, délitement du lien familial et social, ...).
Pourquoi l'Ecole alors quand le diplôme scolaire n'est plus synonyme d'emploi ou de reconnaissance ? Parce qu'il reste le vrai déterminant scolaire : le rapport au savoir. Surtout dans le contexte guyanais. Mais là n'est pas notre propos.
- Ce même Recteur déclare lors d’une interview télévisuelle qu'entre le REP et le REP + il y a surtout une différence lexicale que votre gouvernement est en train d'harmoniser. Bigre !
Nous notons pourtant une différence de taille entre ces deux dispositifs. Le REP + induit en effet un temps d'enseignement moindre devant les élèves (16h30 en lieu et place des 18 heures statutaires pour un certifié par exemple). Cette réduction du temps de travail doit à son tour induire la création de postes d'enseignants supplémentaires : en moyenne, 5 postes d'enseignants supplémentaires pour un collège moyen de 500 élèves.
Question :
- sachant que les établissements scolaires connaissent tous une explosion démographique de leurs effectifs,
- sachant qu’une très grande majorité d’établissements scolaires de Guyane excède très largement 500 élèves,
- sachant que chaque année la Guyane peine (c'est un euphémisme) à présenter devant les élèves le nombre d'enseignants prévus, en dépit de primes et d'une indemnité de 40 % (et ce n'est pas l'indemnité supplémentaire afférente au REP + qui va modifier cet état de fait),
- sachant que les personnels qui accompagnent la transmission du savoir (assistants d'éducation, infirmières, assistantes sociales, CPE, ...) sont déjà en nombre insuffisants pour les besoins actuels,
- sachant que les conditions d'accueil des élèves dans les établissements (vétusté, humidité, chaleur, parties communes, ...) sont majoritairement indignes du texte législatif/slogan qui dit « une école de qualité sur tous les lieux de la République »,
- sachant que la bonification de points prévue dans les REP et REP + va accentuer le turn-over des personnels,
- sachant que des directeurs de service public (impôts en particulier mais pas seulement) déclarent que des postes dans leur service ne sont pas pourvus parce que des personnels eux-mêmes parents refusent la Guyane compte tenu d’a priori sur la qualité de son système éducatif ; sans compter d'autres investisseurs socio-économiques attirés par le Territoire mais rétifs sur le plan de la scolarité de leurs enfants, nous vous laissons imaginer l'impact d'une Guyane scolairement prioritaire ...,
- sachant que le pilotage académique dans toutes ses dimensions est en souffrance,
- sachant que notre territoire offre des perspectives professionnelles telles qu’une majorité des cadres de l'Education nationale n'y font qu'un bref passage, ce qui empêche tout suivi ou toute pérennisation d’un dispositif,
- sachant que le manque criant d'établissements scolaires - les murs ne sont pas extensibles – et le tsunami démographique guyanais condamnent à des classes pléthoriques contrevenant au suivi plus individualisé des élèves, objectif important de l'éducation prioritaire,
- sachant que le Rectorat actuel est infichu, malgré des effets d’annonce, de proposer ne serait-ce qu’une collation à des enfants de communes isolées venant à l’école après des heures de pirogue,
- sachant que la Guyane accueille de plus en plus des élèves allophones qui sont plongés directement dans les classes sans qu'aucun dispositif passerelle ne leur soient proposés,
- sachant que le Rectorat actuel est incapable, malgré de nombreuses sollicitations, de travailler avec le tissu associatif sur des problématiques telles que le coût des fournitures scolaires, une campagne de sensibilisation sur la violence, une formation sur les conduites à risque, privilégiant un Plan académique de formation qui ne correspond guère aux attentes du terrain, des séminaires couteux sans suite tangibles, des interventions que d'aucuns qualifieraient de publicitaires, un amalgame de fonctions qui ne permet pas aux acteurs un positionnement clair au service des élèves, des décisions méprisantes pour certains corps en Guyane, ...
- sachant que le pilotage académique des vies scolaires, pourtant déterminantes dans la lutte contre l’absentéisme, le décrochage et la violence, est en déshérence depuis de nombreuses années,
- sachant le manque criant d'infrastructures, de transports et de restaurants scolaires pour acheminer et nourrir nos enfants,
- sachant le retard numérique que connaît le Territoire,
- sachant l'absence d'antennes rectorales pour un Territoire plus vaste que le Portugal qui empêche la réactivité de l'institution face aux carences éventuelles (travaux, restauration, transports, absence enseignants, ...),
- …
Pensez-vous que le REP + soit la solution aux difficultés que rencontre le système scolaire en Guyane ? Il y a, compte tenu de la gouvernance rectorale actuelle, plutôt le risque d'une apocalypse scolaire annoncée. Oui à une dotation supplémentaire mais à une dotation qui fasse sens et qui soit gérée avec rigueur.
Notre Collectif agrège un grand nombre de forces vives du Territoire (associations, collectifs, entreprises et parents bien entendu). Nous évitons l’amalgame diplômes/ statuts et compétences. Des solutions de bon sens existent. Parmi celles-ci :
- revoir le protocole d'affectation des enseignants afin d'éviter que de façon récurrente, un (trop) grand nombre d'élèves se retrouve à chaque rentrée scolaire sans enseignants,
- revoir le processus d'orientation des élèves afin d'éviter que des jeunes errent dans les rues, désœuvrés et prêts à basculer dans la violence en réponse à la violence institutionnelle qu'ils subissent,
- doter chaque établissement de deux adultes relais présents entre le temps de la demi-pension et les sorties de l'après-midi, formés à assurer un lien entre l'établissement et son environnement,
- multiplier les dispositifs comme les classes et ateliers relais, les classes tremplins, l’école ouverte, pour que le jeune en difficulté connaisse de la réussite au cours de sa scolarité,
- favoriser le rapprochement entre l'Institution et les surfaces commerciales pour que le coût de la rentrée scolaire ne soit pas perçu comme une violence par les familles,
- sensibiliser les jeunes sur la prévention de la violence et de la délinquance en s'appuyant sur le tissu associatif local, que ces opérations soient régulières, pérennes et non des « coups de com. » comme c'est le cas actuellement,
- offrir aux parents d'élèves un cadre physique dans les établissements afin de redynamiser la collaboration des parents à la réussite de leur enfant,
- que les cadres du Rectorat aient un contrat de 3 ans minimum,
- Surtout, accélérer les constructions scolaires car il est déjà trop tard.
Le discours ambitieux des (trop) nombreux recteurs sur une école guyanaise ambitieuse n'est qu'emphase et, finalement, mascarade. 1 mois après la rentrée scolaire, à l'heure où sont écrites ces lignes, des parents crient leur souffrance de voir leurs enfants privés d'enseignants (Saint-Georges mais pas seulement), des adolescents crient leur violence de ne pas être scolarisés. Les cadres du Rectorat tolèreraient-ils en tant que parents cette situation? Bien sûr que non. Puisqu'il ne s'agit pas d'un épiphénomène, puisque le problème est récurrent, puisque son traitement est partial, puisque nous savons ce problème soluble, alors il y a là une FAUTE PROFESSIONNELLE LOURDE. Nous vous demandons d'en tirer toutes les conséquences.
Le Collectif
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