Compte rendu de l'audience de Thomas Gallay accusé à tort par la justice marocaine de complicité de terrorisme.
Arrivée à Casablanca le 7/12/16
Les premiers moments sont durs, amers, anxieux. J’essaie de ne pas être submergée par la vague d'informations.
Béa, la mère de Thomas, me raconte son calvaire, son impuissance, sa colère.
Le lendemain arrive : C'est le jour. Bea se réveille à l'aube. Inexorablement, le baromètre du
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Compte rendu de l'audience de Thomas Gallay accusé à tort par la justice marocaine de complicité de terrorisme.
Arrivée à Casablanca le 7/12/16
Les premiers moments sont durs, amers, anxieux. J’essaie de ne pas être submergée par la vague d'informations.
Béa, la mère de Thomas, me raconte son calvaire, son impuissance, sa colère.
Le lendemain arrive : C'est le jour. Bea se réveille à l'aube. Inexorablement, le baromètre du stress augmente.
9h15 , nous nous dirigeons vers l'hôtel de Maître Berton, il attend dehors, sur la terrasse de l'hôtel, l'air sombre, avec son café. Bea et lui commencent à discuter " Nous avons des problèmes avec les médias sur l'histoire de Thomas." " Une interview sur Tf1 était programmée mais ça n’aboutit pas. Il semble que les conseils du haut recommande aux médias de rester discret...
On a quelques minutes vides, où l’angoisse vient prendre ses aises, puis Maître Jamaï, l’avocat Marocain est en bas avec sa voiture. On descend.
Les deux avocats disent leurs espoirs que l’audience ne soit pas renvoyée aujourd’hui encore. Béa suffoque. J’essaie de prendre sa main, pour apporter un peu de doux. Rien. Comme si je caressais un mur, une vitre, une grille.
Béa n’arrive pas à se lever du siège, elle a des haut-le-cœur. Elle me regarde avec des yeux tout petits « je peux pas. Mes jambes n’y arrivent plus ». On prend 5 min pour respirer et relancer la machine. On y va.
Salle d’audience :
Tho est là, dans la cage en verre de 20m2 avec de nombreux autres accusés, barbus, certains venus avec leur tapis de prière. Il s’agit des différentes « cellules terroristes » qui font appel.
Tho est au premier rang, sur la droite. Il porte une petite chemise blanche, un pull torsadé bleu marine, un pantalon habillé, rasé de près, petit catogan, traits un peu tirés. Il sourit à sa mère, j’agite la main pour lui faire coucou. Nous nous asseyons au deuxième rang, juste derrière les avocats. Béa se planque pour écraser quelques larmes (« faut pas qu’il me voit »).
Les avocats sont tendus, il y a un bourdonnement de fond qui rend l’ambiance sonore lourde.
La Cour arrive, on se lève pour l’accueillir. Elle est composée de 5 juges dont le président qui arrive en béquilles, le Procureur, et un greffier. Maître Berton se penche vers nous, et nous glisse que c’est hyper bien que le Président soit là, « il aurait tout à fait pu renvoyer en janvier ou en février à cause de sa jambe.
A côté de moi, Aladdin, le traducteur officiel du tribunal. Le but de la journée est de refaire les interrogatoires. Je regarde de nouveau le nombre de personnes dans la cage de verre, je ne vois pas bien comment cela est possible.
Au bout d’ 1h15, c’est à nous.
Les 9 prévenus de la « cellule » dite terroriste qui concerne Thomas sont appelés à la barre, ainsi que leurs avocats, tous entourés par de nombreux policiers et gardiens de prison. Tout se passe en arabe.
C’est très difficile de suivre.
Thomas est encadré par le traducteur et Maître Berton. Maître Jamaï est en avant, prêt à en découdre.
Premier accusé interrogé : Malaïnine, le mec que connaissait Thomas et qui a effectivement « tourné Daesh » (contacts avec la Syrie, projet de départ qu’il reconnaît, arrêté avec un sac d’armes dont il nie avoir su ce qu’il contenait) et qui a pris 18 ans. En arabe, il dit que ce qu’il y a dans son PV est faux (ce qui est vrai), que certaines personnes qui ont été arrêtées n’avaient rien à voir là- dedans, dont Thomas.
C’est le tour de Thomas.
Il est à la barre, avec le traducteur et les 2 avocats.
Les questions sont posées en arabe, traduites à Thomas, il répond en français, puis sa réponse est traduite à la Cour. C’est assez compliqué de suivre le fil. On s’accroche.
– Pourquoi étiez-vous au Maroc ?
– Je suis né en Afrique, j’y ai grandi ainsi qu’en Tunisie. Je suis venu m’installer car c’était possible dans le cadre de mon travail de bosser à distance à partir de 2014, et puis M. le juge… j’aimais ce pays. Je me suis installé à Essaouira pour l’environnement, l’océan.
– Comment avez-vous rencontré Malainine ?
– Quand je suis arrivé, je n’avais pas beaucoup de temps pour chercher et j’ai loué un appartement par une agence, mais je ne l’aimais pas, trop sombre. Entretemps j’avais rencontré Malainine qui travaillait pour cette agence et je lui ai demandé de m’en trouver un autre.
– Avez-vous eu des contacts rapprochés avec Malaïnine ?
– Non M. le juge. Au départ, j’ai eu des contacts réguliers, car c’était mon premier contact à Essaouira avec cette recherche d’appartement. Il m’a un peu montré la ville, nous avons passé quelques moments où il me montrait les plages locales. Nous ne sommes jamais partis plusieurs jours ensemble. Après ma première année à Essouira, nous nous sommes beaucoup moins vus. J’étais moins disponible, et j’avais commencé à avoir d’autres connaissances.
– Parlez-vous l’arabe ?
– Non M. le juge. Juste quelques mots pour les formules de politesse et acheter mon pain.
– Etes-vous converti à l’Islam ? Malaïnine vous a-t-il converti à l’Islam ?
– Non ! Je suis catholique, baptisé. Je respecte l’Islam, mais ce n’est pas ma religion. Malaïnine m’a parfois parlé de l’Islam, mais comme beaucoup de musulmans le font. En général, quand je leur dit que je suis catholique, ça en reste là. Malaïnine m’en a parlé de la même manière, mais il ne m’a jamais demandé de me convertir, jamais.
– Avez-vous décelé l’appartenance de Malaïnine à Daesh ?
– Non M. le juge ! Je n’ai rien vu. Malaïnine ne m’a jamais parlé de Daesh, ou en tout cas, je ne l’ai pas saisi.
– Avez-vous prêté allégeance à Daesh ?
– Non ! Non ! NON ! M. le juge. Comment voulez-vous qu’un catholique non converti fasse allégeance à Daesh. Je m’en fiche de ces histoires, cela ne me concerne pas et ne m’intéresse pas du tout.
– Combien avez-vous d’ordinateurs ?
– J’ai 3 ordinateurs portables pour le boulot, et un ordinateur fixe personnel. Il y a un code sur chacun d’entre eux, sauf sur le perso.
– Sur votre ordinateur fixe, il y avait une photo du chef de Daesh, quelques autres et trace d’une vidéo sur la Syrie. Avez-vous téléchargé ces photos ?
– Non Mr le juge. Je n’ai jamais vu ces photos ni cette vidéo, ni sur mon ordinateur, ni ailleurs. Il faut savoir que mon ordinateur était dans le salon, et que je laissais l’accès à l’ordinateur aux personnes qui me rendaient visite. En effet, je faisais confiance, je ne vérifiais pas, je ne regardais pas les historiques. Peut-être Malaïnine a-t-il téléchargé ces fichiers sur mon ordinateur.
(apparté 1: la liste des pièce à conviction n’est pas complète. Il n’apparaît pas l’unité centrale du PC, mais un disque dur externe, alors que ces photos sont censées avoir été retrouvées sur l’ordi fixe…
apparté 2 : très, très bizarrement, ces fichiers photos et vidéo n’ont pas de date ni d’heure de téléchargement, ni de sources,… ce qui semble relativement impossible pour des fichiers informatiques.
apparté 3 : Thomas a laissé ses clefs à Malaïnine quand il est rentré en France fin 2014 pour Noël , il devait lui faire installer sa ligne de téléphone dans le nouvel appartement qu’il lui avait trouvé, PC sans code, à dispo…)
– Êtes-vous sûr de n’avoir jamais vu ces fichiers ?
– Oui, j’en suis sûr. Et puis, M. le juge, je suis ingénieur, je bosse sur des ordinateurs à longueur de journée. Si j’avais consulté ou téléchargé ces trucs, je sais le faire sans laisser de traces, pourquoi aurais-je laissé trainer cela ?
La juge femme fait une remarque, que je n’ai pas entendue à vrai dire, et en un quart de seconde Maître Jamaï en arabe et Maître Berton en français, ont riposté. Elle s’est reprise direct (et semble t’il s’est excusée).
– Vous avez donné de l’argent à Malaïnine. Pouvez-vous expliquer combien et pourquoi ?
– oui, j’ai donné une somme totale de 70 euros (700 dirhams) à Malaïnine, en 3 fois. Une fois au décès de son père pour faire les papiers et les démarches administratives, une fois pour compléter ce qu’il devait pour son loyer qu’il n’arrivait pas à payer et une fois parce qu’il avait un abcès dentaire et nécessitait des soins.
Oui M. le juge, j’ai été charitable, mais je ne crois pas que ce soit un crime.
– avez-vous eu des contacts avec l’ensemble des autres accusés de cette affaire ?
– non, sauf très brièvement Haissoune, le prof de surf pour acheter ma planche.
Les accusés sont alors sortis par une petite porte sur le côté pour retourner à la prison, en partant Tho a crié « M’man ! Laurette ! » et il a fait coucou de la main. Moi j’ai suivi jusqu’à la porte, et je lui ai envoyé nos bécots.
Après cela les 2 avocats ont discuté plusieurs minutes avec le procureur général, sur les futures audiences (à ce rythme, il n’y en aura pas qu’une).
Le 4.1.16 : A priori dernière audience, où le délibéré sera rendu.
En sortant de là, quand j’ai compris que mes petits espoirs de les avoir avec nous pour Noël, à faire le sapin, la crèche, à manger, à blablater, prenaient le large… quand j’ai vu cela disparaître au loin, mon cœur a fait la grimace et s’est planqué au fond de ma poitrine.
Dans la voiture, sur le chemin du retour, les 2 avocats étaient contents de la journée.
Ils disaient que tout s’était très bien passé, que la Cour n’était pas « hostile », que Thomas avait super bien répondu aux questions. Qu’on allait le sortir de là. Les avocats vont demander la libération conditionnelle à la prochaine audience. Ils disent que ça ne marchera pas, mais que c‘est à force de demander qu’on aboutira. (OUI ! OUI ! OUI !).
Béa était un peu plus légère. On a bu un thé/binouze en terrasse, puis on s’est fait un petit resto, pour ne pas se laisser abattre.
Pétition : http://soutien-thomas-gallay.com/
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