Suicides, empoisonnement au mercure : le coup de colère des Amérindiens de Guyane française, « Abandonnés de la République »
par Yves Géry
Journaliste, co-auteur du livre "Les Abandonnés de la République",
éditions Albin Michel
Un taux de suicide 5 à 10 fois plus élevé qu'en métropole, des adolescents de 12 ans qui mettent fin à leurs jours, une contamination au mercure parmi les plus élevées au monde, des conditions de vie indignes avec, à titre d'exemple, des consultations gynécologiques qui se communautaire, simplement cachées des regards par un drap. Les Amérindiens en colère exigent dignité et conditions de vie décentes.
Les Amérindiens de Guyane française s’estiment toujours « Abandonnés par la République », comme ils l’ont martelé le 30 novembre 2016 lors du colloque organisé à Paris par la sénatrice Aline Archimbaud. En septembre 2014, nous avions publié l’ouvrage intitulé « Les Abandonnés de la République » (1). Nous y dressions le constat que les Amérindiens, en particulier ceux vivant à l’intérieur de la Guyane en forêt amazonienne le long des grands fleuves Maroni et Oyapock, vivaient dans des conditions déplorables, pas d’eau potable ni d’électricité, pas de services publics dans les villages, pas d’emplois, pas de perspectives.
Deux facteurs sont particulièrement inquiétants pour leur santé et leur avenir : 1) Un taux de suicide 5 à 10 fois plus élevé qu’en métropole, avec pour particularité des Amérindiens très jeunes – 12 à 15 ans pour certains d’entre eux – qui se suicident. 2) Ils sont l’un des peuples au monde les plus contaminés par le mercure utilisé par les orpailleurs clandestins via la chaîne alimentaire, car les Amérindiens se nourrissent largement des poissons des fleuves qui sont contaminés.
Face à ces deux périls, constat était dressé d’une action insuffisante – voire d’une inaction dans certains cas – de l’Etat français dont ils sont des citoyens à part entière.
"Le père cherche quatre planches...qu'il ne trouvera pas"
Las ! Deux ans plus tard, le colloque au sénat a confirmé que l’abandon de ces populations par la République est toujours une réalité. Face aux discours rassurants sur les prétendus progrès effectués, les Amérindiens ont opposé une réalité constatée sur le terrain. Tout d’abord un sentiment de non-reconnaissance formulé par l’anthropologue qui pilote la cellule régionale pour le mieux-être des populations de l’intérieur (CeRMEPI). Sans l’en informer, la préfecture a présenté le travail de cette cellule comme étant celui de la préfecture, a-t-elle expliqué en substance. Une anthropologue « payée au salaire d’une conseillère principale d’éducation, CPE » ce qu’elle était auparavant, et ne disposant pour l’épauler au sein de cette cellule que d’un volontaire de service civil. Elle a confié le dénuement des familles face aux suicides de leurs enfants, ces familles qui veillent le corps du mort « pendant que le père cherche quatre planches qu’ils ne trouvera pas ».
Dès 10 ans, séparés de leurs familles
Aikumale Alemin était à ce colloque le seul Amérindien présent vivant en permanence sur le Haut Maroni, dans un village qu’il a lui-même fondé et qui compte désormais plusieurs familles. Nous lui avions rendu visite lors de notre enquête et il nous avait fait part de sa colère et de sa détermination à « agir pour son peuple ». Cet agent de santé amérindien wayana, l’un des seuls autochtones à occuper ce type de poste, rare dans les villages, se bat depuis des années pour faire entendre la voix des Amérindiens. Aiku, l’un des seuls Amérindiens élus au niveau local, a notamment lancé courant 2016 une pétition auprès du président de la République française afin qu’un collège soit ouvert au cœur du Haut Maroni, dans le village de Taluen/Twenke et ainsi « d’éviter que nos enfants partent, se coupant de leur famille, culture et racines, parce que dans notre culture nos petits se nourrissent de l’histoire de leur peuple pour grandir ; on ne confie pas ses enfants à l’extérieur dans la culture amérindienne, comme cela se fait chez vous dans la culture occidentale». Ces jeunes quittent le cocon familial pour le collège et « se retrouvent en internat à Maripasoula, à plusieurs heures de pirogue de leur village », isolés et sans surveillance le week-end, ajoute-t-il. Un collège en pays amérindien réclamé depuis des années par ce peuple.
« Nous considère-t-on encore comme des sous-hommes ?
Même déracinement pour aller ensuite au lycée, comme l’a souligné Alain Mindjouk, un autre Amérindien kalina teleweyu : « Placés en famille d’accueil quand ils arrivent sur le littoral, certains enfants fugent, d’autres retournent au village ». Dans tous les cas, du fait de cette séparation, « Ils n’apprennent plus les savoirs ancestraux ». Alain Mindjouk a créé une association d’accueil des jeunes Amérindiens sur le littoral afin qu’ils ne soient pas en danger et livrés à eux-mêmes comme c’est très souvent le cas. Il a rappelé qu’en 2003 déjà, il faisait partie du groupe de Brigitte Wyngaarde, première amérindienne à alerter les pouvoirs publics sur l’épidémie de suicide qui sévissait déjà en pays amérindien à l’intérieur de la Guyane. Il a déploré que «l’Etat ait pris 12 ans, jusqu’en 2015, pour comprendre ce phénomène ». Pour lui, ces populations sont plus que jamais abandonnées : « Trop de constats, trop de chiffres, trop de rapports », mais pendant ce temps-là sur le terrain, « rien n’a changé ». L’internat présenté comme exemplaire qui accueille les enfants amérindiens à Maripasoula là où se trouve le collège ? « Les lits sont pourris, on attend toujours les travaux promis. Je me pose la question de savoir si nous sommes encore, nous autres Amérindiens, considérés comme des sous-hommes », lâche-t-il devant l’assistance. Les Amérindiens demandent que cet internat soit ouvert le week-end afin que les ados ne soient pas «lâchés dans la nature et pour éviter tout comportement à risque ».
"L'école fait que l'on perd son identité amérindienne"
Et l’école primaire française dans les villages amérindiens ? L’école est en langue française, déplore l'amérindienne teko Tiwan Couchili, qui dénonce le dispositif insuffisant d’intervenants en langue maternelle (ILM) amérindienne et craint que ce dispositif ne soit encore réduit. « L’école n’est pas du tout adaptée à notre façon de vivre, elle fait en sorte que l’on y perd son identité amérindienne », ajoute-t-elle. « Nous demandons une école bilingue français/amérindien ainsi que cela se fait dans d’autres pays proches d’Amérique latine comme au Brésil ou en Colombie, lesquels ont des professeurs indigènes. Comment se fait-il qu’en Guyane française, nous n’en sommes pas encore là ?". Après le collège et le lycée, les jeunes amérindiens « reviennent au village, mais ils sont agressifs car ils ne savent pas comment se positionner dans la communauté ». Souvent sans diplôme, et très souvent sans perspective d’emploi.
« Un furoncle sur le nez de la France »
L’orpaillage clandestin continue de faire des ravages et d’empoisonner au mercure les cours d’eau et poissons qui sont la première alimentation des Amérindiens de l’intérieur. « J’étais sur le Haut-Maroni le 29 novembre 2016 », témoigne la députée guyanaise Chantal Berthelot, « nous avons sur le fleuve 12 barges, à l’intérieur de la Guyane, en train de pratiquer de l’orpaillage illégal ! » s’émeut-elle. Sur la rivière Waki-Tampoc, « c’est visible, c’est un furoncle sur le nez de la France », dénonce la députée. Ces barges clandestines en bois sont assemblées sur place, elles siphonnent le lit de la rivière à la recherche d’or. Il y a six mois, deux étaient apparues, elles ont été détruites par les forces de l’ordre, les douze existantes ont été implantées récemment, explique le Parc amazonien de Guyane qui effectue une surveillance aérienne régulière des fleuves de l’intérieur. « Ma grand-mère a reçu une balle perdue » suite à un affrontement dû à la présence d’orpailleurs clandestins en pays wayana, rappelle Tiwan Couchili, qui s’interroge sur le suivi et les moyens mis en œuvre pour éradiquer l’orpaillage illégal.
Empoisonnés par le mercure
Alexandre Sommer, secrétaire général de l’Organisation des nations autochtones de Guyane (ONAG), précise que le recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Cayenne, déposé par l’ONAG et l’association Solidarité Guyane a été « débouté par la justice en première instance et fait l’objet d’un appel devant la cour de Bordeaux ». Ce recours porte sur la contamination par le mercure des Amérindiens. «C’est une honte que de laisser cette population empoisonnée par le mercure ! », s’insurge-t-il. Les deux associations avaient déposé ce recours en estimant qu’il y a carence des autorités à prendre des mesures propres à faire cesser les incidences sur la santé des populations, attribuables à l’orpaillage illégal sur le territoire de la Guyane. Le 19 novembre 2015 le tribunal administratif de Cayenne a rejeté ce recours, au motif notamment que les associations requérantes n’auraient pas démontré « l’existence du caractère direct et certain de ce préjudice résultant pour elles de la faute commise par l’Etat ». Les Amérindiens du Haut-Maroni, contaminés à des niveaux de mercure supérieurs au plafond de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), c’est-à-dire la majorité des habitants dans tous les villages, apprécieront. Les associations ont fait appel de cette décision devant la cour administrative de Bordeaux.
"L'Etat incapable de faire régner l'autorité"
Plus généralement, Jean-Philippe Chambrier, président de la Fédération des organisations autochtones de Guyane (FOAG), dénonce le peu de cas qui est fait de toutes ces questions : « Cela fait plus de 25 ans que nous interpellons l’Etat français, force est de constater qu’il n’y a pas grand-chose qui bouge ». Sur l’orpaillage clandestin, « l’Etat est incapable de faire régner l’autorité, quand la nuit arrive, les barges flottantes d’orpaillage illégal traversent la rivière pour s’installer côté français du fleuve », déplore-t-il.
Autre infrastructure réclamée à cors et à cris par Alain Mindjouk et l’ensemble des Amérindiens depuis des années : la construction d’une maison d’accueil des jeunes amérindiens sur le littoral : « Nous avons envoyé le dossier de demande il y a plusieurs mois, nous attendons toujours la réponse », explique Jean-Philippe Chambrier. « C’est un gros souci, les jeunes étudiants amérindiens arrivent sur le littoral et certains d’entre eux se retrouvent dans la rue », il est donc urgent de créer cette infrastructure, ajoute-t-il.
Un Conseil consultatif privé de moyens
L’une des mesures les plus fortes du rapport Archimbaud-Chapdelaine était de fournir des moyens au Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengues (CCPAB). Jocelyn Thérèse, président de ce conseil, en dresse le bilan : « Le conseil a été créé en 2007. Nous nous sommes rendu compte que nous ne disposions pas des moyens nécessaires pour fonctionner correctement. Depuis, nous avons formulé des propositions, lesquelles, en grande majorité, n’ont pas été prises en compte ». Récemment, explique-t-il, la préfecture a refusé de prendre en charge les frais de fonctionnement et déplacement des membres du conseil pour une réunion importante à Camopi, finalement « c’est la commune qui a payé ». Officiellement, ce conseil va enfin être doté des moyens nécessaires, après des années de diète, une enveloppe de 50 000 euros est évoquée. C’est crucial pour Jocelyn Thérèse, parce que « l’on ne peut pas être soumis au chantage » concernant le financement du conseil, « il nous faut donc impérativement une autonomie financière ».
100 euros pour une artiste amérindienne locale, une misère
Jocelyn Thérèse s’interroge également à voix haute sur le manque de reconnaissance de la culture amérindienne, symbolisé par la somme plus que modique allouée à l’artiste amérindienne Tiwan Couchili, plasticienne, entre autres spécialiste des ciels de case qui font partie du patrimoine amérindien, Tiwan a en effet perçu… « 100 euros pour réaliser une œuvre d’art » qui trône devant un lycée de Guyane.
En 2015 Aline Archimbaud et Marie-Anne Chapdelaine s’étaient vues confier par le Premier ministre une mission pour prévenir les suicides chez les Amérindiens (2). Elles avaient préconisé 37 mesures. Un an après la publication de leur rapport, Aline Archimbaud observe que le compte n’y est pas. Exemple : « Je note que la question de l’internat de Maripasoula n’est pas réglée, c’était pourtant l’une de nos mesures-phare. Je sors de cette conférence en étant consciente de tout ce qui bloque », regrette-t-elle.
Consultations gynécologiques...derrière un drap sur la place du village
Le chantier reste immense pour que ces propositions ne restent pas lettre morte. Il faudra commencer par restaurer la dignité des Amérindiens. Ainsi par exemple dans les villages d’Elahé et de Kayodé sur le Haut-Maroni, les consultations gynécologiques des femmes amérindiennes se déroulent…derrière un drap sous le carbet communal ouvert à tous les regards. Il aura fallu attendre fin 2016 pour que les pouvoirs public s’engagent solennellement – cela a été fait lors de ce colloque – à construire un local fermé pour recevoir les femmes en consultation. Mais pourquoi donc aura-t-il fallu attendre jusqu’à fin 2016 ?
Yves Géry
Journaliste, co-auteur du livre "Les Abandonnés de la République", éditions Albin Michel
(1) « Les Abandonnés de la République, vie et mort des Amérindiens de Guyane française », Yves Géry, Alexandra Mathieu, Christophe Gruner, septembre 2014, Albin Michel.
(2) Rapport « Suicides des jeunes Amérindiens en Guyane française : 37 propositions pour enrayer ces drames et créer les conditions d’un mieux-être », issu de la mission parlementaire confiée en mai dernier à Aline Archimbaud, sénatrice de Seine-Saint-Denis, et Marie-Anne Chapdelaine, députée d’Ille-et-Villaine, par le Premier ministre, relatif à la situation des populations amérindiennes de Guyane, remis aux autorités le 15 décembre 2015.
Vidéo de septembre 2014 sur Youtube :
Les Amérindiens de Guyane sont à Paris pour porter plainte contre la France alors que
leur communauté est menacée de destruction comme ils en témoignent dans un livre :
orpaillage clandestin, pollution, épidémie de suicides...
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