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Alassane Ouattara :
de la frustration à l'intronisation

Par Lawoetey-Pierre AJAVON

Pierre Lawoetey AJAVON est Docteur 3ème cycle en Ethnologie, et Docteur d'Etat ès Lettres et Sciences Humaines (Anthropologie des Sociétés Orales). Enseignant-chercheur en Histoire et en Anthropologie, il est auteur de plusieurs articles dans des revues spécialisées.
Son dernier ouvrage « Traite et esclavage des Noirs, quelle responsabilité africaine ? » est paru aux éditions Ménaibuc à Paris en 2005.

Six mois après la crise post-électorale qui a fait basculer l’ex Etat d’Eburnie dans une guerre de quinze jours, se soldant au bas mot par environ 3000 morts, un million de déplacés, et dont l’épilogue fut la chute humiliante et l’embastillement de Laurent Gbagbo le 11 avril dernier, Alassane Ouattara qui vient d’être solennellement investi le 21 mai à Yamoussoukro, peut enfin assouvir l’un des vieux rêves pour lesquels il s’est battu pendant plus d’une dizaine d’années : présider aux destinées de la Côte d’Ivoire.

Cette victoire à la Pyrrhus, diront certains, qui consacre plusieurs années d’engagement politique du « Mossi d’Abidjan » - comme aiment à le nommer ses détracteurs en référence à ses supposées origines burkinabé - laissera certainement un goût amer chez le nouveau locataire du palais du Plateau. Conscient de ses dettes politique, morale et économique à l’égard des forces coalisées, ONUCI /LICORNE/FRCI, qui lui ont ouvert au sens imagé, et surtout propre, les portes de ce palais, Ouattara sait mieux que quiconque, à l’instar du héros grec Hercule, l’incommensurable tâche qui l’attend. Par ailleurs, en lui imputant à tort ou à raison le parrainage politique de la rébellion armée qui fut à l’origine de la division de la Côte d’Ivoire en deux, dès 2002, rébellion sur laquelle pèsent de graves présomptions d’exactions dont le crime contre l’humanité dans le Nord du pays, ses opposants irréductibles ne se priveront pas de démontrer que le nouveau président a érigé son pouvoir sur des monceaux de cadavres. Que dire de l’étiquette de « Président de l’Etranger, en particulier, de la Françafrique » dont il est affublé, ou du titre peu enviable de « Gouverneur de la France en Côte d’Ivoire » qui lui colle déjà à la peau ? Là encore, on ironise à l’envi sur le fait que ce que Ouattara n’a pu obtenir constitutionnellement, par la loi de son pays, il ne l’a enfin obtenu que grâce au bon vouloir d’une certaine autoproclamée communauté internationale « manipulée par Sarkozy » (sic).

Pour autant, ces accusations - si tant est qu’elles soient fondées - exonèrent-elles l’ex-président déchu, Laurent Gbagbo, de sa propension à s’accrocher au pouvoir, piétinant intentionnellement l’article 64 du code électoral et de la Constitution ivoirienne, et ce, avec la complicité et la mauvaise foi caractérisée de l’ex-actuel président de cette honorable institution aux ordres ? Ironie de l’histoire, ou hypocrisie, c’est devant ce même Président du Conseil Constitutionnel, Paul Yao N’DRE, un proche et cacique du régime Gbagbo, celui-là même qui avait soutenu mutatis mutandis six mois plus tôt la victoire électorale de son mentor, que le nouveau Président prêtera serment le 5 mai dernier. Mais enfin, quelle ultime humiliation pour ce juriste, pourtant confirmé, à le voir se dédire aujourd’hui, et surtout, à l’écouter prononcer à l’endroit de celui dont il avait pourtant prédit la mort politique, la formule consacrée : « à l’issue du scrutin du 12 novembre 2010, dont vous êtes le vainqueur, Monsieur Alassane Dramane Ouattara vous êtes reconnu nouveau Président Côte- d’Ivoire. » Et de renchérir par cette métaphore que ne dédaignerait pas Staline lui-même : « Monsieur Le Président, vous êtes le soleil levant au-dessus de la colline pour sauver la Côte-d’Ivoire ». Si le ridicule tuait ? N’eût-il pas mieux valu, pour la dignité et la fierté de ce brillant agrégé de Droit et de Sciences-Po, remettre tout simplement sa démission aux nouvelles autorités ivoiriennes ? Je vois déjà les adeptes de la critique facile, peu avertis des problématiques ainsi que des futurs enjeux de notre si vieux continent, emboucher l’olifant de la pensée unique qui n’a d’égale que leur diatribe sans épaisseur ni contenu. C’est le lieu d’ouvrir ici une parenthèse pour réitérer ce que j’avais déjà exprimé dans un précédent article, et clore par cette même occasion les nombreux débats, par médias panafricains interposés, que j’ai pu avoir avec certains de mes compatriotes africains et d’autres africanistes Européens, depuis le mois de novembre 2010, au lendemain des élections ivoiriennes. Que l’on se comprenne bien. Je le dis et le répète autant que j’assume mes propos : si j’avais été Ivoirien, j’aurais voté pour Laurent Gbagbo, au nom d’une certaine proximité idéologique, en l’occurrence panafricaniste, que nous avions partagée au début des années 70, au sein de la Fédération des Etudiants d’Afrique noire en France (FEANF). Ce qui ne m’a nullement empêché, lorsqu’il le fallait, de me désolidariser de quelques-unes de ses positions que je jugeais « déviationnistes ». Vous avez dit crime de Lèse-Majesté ? De vieux camarades et promotionnaires d’université qui gravitaient autour de la galaxie Gbagbo dont j’attirais l’ire ne se privaient pas de me le reprocher. D’autres, ayant la mémoire courte, ont tôt fait d’oublier notre pétition pour la libération de Gbagbo, lorsqu’en mars 1992, il fut arbitrairement incarcéré par le gouvernement d’Alassane Ouattara, alors Premier Ministre. Nonobstant, ma posture iconoclaste est restée inchangée, et aujourd’hui, je suis d’autant plus à l’aise pour m’exprimer de manière tout à fait indépendante, que je compte aussi bien dans le camp d’Alassane Ouattara que celui de Laurent Gbagbo d’anciens camarades militants dont je garde pour la plupart d’entre eux une longue et indéfectible amitié.

Je n’en voudrais pour preuve qu’en dix années de règne, certes, concédons-le lui, assez agité, on peine à déceler a posteriori, une once d’empreinte de panafricanisme à travers le bilan politique économique et social de Laurent Gbagbo, n’en déplaise à ses farouches laudateurs. A vrai dire, le panafricanisme gbagboiste ne s’est singulièrement confiné que dans une logorrhée jamais suivie d’actes concrets, car manquant de courage politique, et surtout de visibilité. A ce propos, je rappelais dans un débat que les multinationales, notamment françaises, qui contrôlent la téléphonie mobile, le BTP, la distribution d’eau, le café, le cacao, le port de San Pedro, pour ne citer que ces exemples, n’ont jamais autant prospéré en Côte d’Ivoire que sous Gbagbo. Aussi, comment peut-on par exemple revendiquer une certaine idée du panafricanisme, et dans le même temps, vouer aux gémonies Ouattara, l’empêchant de se présenter aux élections présidentielles d’octobre 2000, au motif qu’il serait burkinabé, au nom d’un étrange et anti panafricaniste concept d’ivoirité ? En tant qu’historien, et plus que tout autre, Gbagbo dont la thèse de Doctorat a porté sur le sujet, n’ignorait pas les conséquences du Congrès de Berlin en 1884-1885, à l’issue duquel l’arbitraire balkanisation du continent sépara les peuples africains auparavant plus ou moins ethniquement homogènes. Pour être juste, si la paternité de ce concept, officiellement abandonné en 2003 à la faveur des accords de Marcoussis, n’en revient pas à Gbagbo, le moins qu’on puisse dire est qu’il a laissé son entourage instrumentaliser ce concept, devenu un puissant argument d’ostracisme politique, à tout le moins, un fonds de commerce électoraliste contre Ouattara.

Enfin, en cette année de célébration du cinquantenaire des indépendances nominales des Etats d’Afrique, l’histoire retiendra que, par son entêtement viscéral et son goût immodéré du pouvoir, sa « boulimie du pouvoir », dirait le reggae-man ivoirien Alpha Blondy, Laurent Koudou Gbagbo aura été le président africain qui, après lui avoir naïvement prêté le flanc, a permis à la vacillante, et non moins impénitente Françafrique, de revenir en force sur le continent noir.

Pour en revenir à Ouattara, maintenant qu’il est intronisé et bénéficie de l’allégeance de la quasi majorité de ses compatriotes, dont la plupart des barons de l’ex-régime, ne faut-il pas lui donner la chance de réunifier la Côte-d’Ivoire, de réconcilier son peuple divisé et meurtri par dix années de guerre, et de relancer l’économie exsangue de ce pays qui fut la locomotive de l’Afrique de l’Ouest francophone ?

Soit, l’homme n’est pas un enfant de cœur à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession, eu égard à son passé va-t’en guerre, de « putschiste » et de parrain des ex-rebelles dont beaucoup d’Ivoiriens gardent encore les traumatismes de leur contrôle du Nord-Ouest du pays. D’où une légitime méfiance chez bon nombre d’observateurs, comme l’écrivaine franco-camerounaise, Calixthe BEYALA. (Voir son interview sur www.infodabidjan.net : « De la méfiance à l’égard de Ouattara qui va au-delà des clivages politiques » ) et Michel Collon : « Côte-d’Ivoire : crimes d’Etat, terreur totale et silence complice des médias français ».
Mais ne faut-il pas le prendre justement au mot ? Lui qui affirmait à la suite de son Premier Ministre, Guillaume Soro, que « le cauchemar des Ivoiriens était terminée », tout en promettant, dans un excès d’euphorie démesurée, de refaire de la Côte-d’Ivoire une petite Suisse au bout de six mois. La tâche titanesque qui attend Ouattara doit impérativement répondre, à mon avis, à plusieurs exigences dont l’ordre de priorité restera à définir par l’intéressé lui-même. Les fidèles soutiens du nouveau président, un tantinet optimistes, rappellent que ce dernier a le soutien économique des grandes puissances, et que lui-même, financier chevronné, ayant fourbi des armes au FMI, pourrait exhiber un carnet d’adresses assez fourni d’investisseurs de pays nantis. Mais c’est vite oublier que le problème actuel de la Côte d’Ivoire ne se résume pas à ses seules potentialités économiques. Quid du pays où règne encore une insécurité endémique et où le virus de la haine ainsi que les rancœurs entre les populations du Nord et du Sud sont toujours en berne, quitte à se raviver à la moindre étincelle ethno-tribaliste ? Quid de l’épineuse question de l’armée où les ex-officiers sous Gbagbo et les ex-rebelles du Nord vite rebaptisés « Forces Républicaines » se regardent en chien de faïence ? Ces derniers seront-ils enclin à se débarrasser de leurs réflexes de soudards pour endosser les habits neufs d’une armée réellement républicaine ? Que dire des nombreux ivoiriens, en majorité du Sud, exilés dans les pays limitrophes et qui redoutent toujours la chasse aux sorcières ? Ouattara qui tient à traîner Gbagbo et ses ex-collaborateurs devant les tribunaux sera-t-il impartial pour enquêter sur les massacres de Duékoué (région favorable à Gbagbo), dans lesquels sont impliqués ses propres soldats ? Ouattara aura enfin pour tâche de démontrer son indépendance vis-à-vis de ses parrains occidentaux, notamment français, qui l’ont aidé à chasser Gbagbo du pouvoir. Voilà donc les défis majeurs que devrait urgemment relever le nouveau président s’il veut réussir la réconciliation nationale qu’il appelle de tous ses vœux, afin que les Ivoiriens, comme il le leur demande, puissent « sécher leurs larmes ». Mais, en aura-t-il les épaules assez larges ? Faute de quoi, l’état de grâce dont il bénéficie actuellement et son aura risquent de s’étioler, ou pire encore, ses compatriotes ne manqueront pas de lui rappeler, le moment venu, les paroles de son propre serment  tenu le 5 mai 2011 : « que le peuple me retire sa confiance et que je subisse la rigueur des lois si je trahis mon serment ».
 

Lawoetey-Pierre AJAVON
Mai 2011

 


Du même auteur, sur blada.com


 


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