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La Guyane en Tan Lontan
par André Bonneton*

Pour peu que l’on se plonge dans le passé, la mémoire met en évidence nombre de souvenirs heureux et malheureux.
Aussi n’est-il pas vain d’appréhender « notre » Cayenne d’antan, toute de délicatesse, avec sa douceur de vivre, sa poésie, sa naïveté, sa richesse insoupçonnée, malgré sa faible population : 25 000 habitants en 1940.

Grande famille courtoise, elle se montre distinguée, telle une vieille province se voulant française. Elle vit en dehors de tout racisme, ce dernier ne l’effleurant même pas.
Si à Cayenne le regard des autres (des Guyanais comme de celui de nouveaux venus) se portait, plus volontiers et essentiellement, sur la Place des Palmistes (autrefois si respectée, si pouponnée, si splendide) ou sur des quartiers huppés (la rue Lallouette par exemple), il n’en demeure pas moins que ceux, considérés à tort comme de bas quartiers, n’avaient pas moins leur charme, leur poésie et leur saveur.

Avec nos frères, sœurs et amis, nous dévalions les pentes sur nos vélos, longeant les magasins Zéphir et Symphorien, saluant Victor Schoelcher en passant, pour descendre « rot bô crique », à seule fin, en particulier le dimanche, d’écouter les « batteurs », tous inspirés et doués d’une oreille musicale étonnante…
Nous gardons de cette époque, et des dits « bas quartiers », des souvenirs inoubliables.

Aussi nous est-il permis, aujourd’hui, de dédier à notre père, Aimé Bonneton, industriel altruiste - dont il n’est fait hélas aucun cas aujourd’hui en Guyane - ce modeste témoignage dont il n’eût pas rejeté la véracité.

Dans la Cayenne des années 1900 à 1960, « le port de commerce » fonctionnait avec tous les services annexes. La belle maison créole de la douane ainsi que son entrepôt sont maintenant, hélas, en très mauvais état.

Sur les flancs de la colline « Cépérou » (du nom d’un Indien fort courageux) où se trouvait la « trésorerie », on accédait tout naturellement ! Alors qu’aujourd’hui l’armée s’y oppose sans tambour ni trompette ….
C’est dire que nous pouvons faire le deuil de nos belles promenades d’antan, avec notre vue imprenable sur Cayenne.
Non loin de là se situait « le Port », où passagers et marchandises transitaient.
Tandis qu’aux « Iles du Salut » » des voyageurs étaient en partance pour la France, sur un paquebot voué à vingt cinq jours de voyage ! D’autres partaient directement de Cayenne, à bord de « cargos mixtes », pour un voyage plus rapide et de surcroît moins onéreux.

La côte était draguée, afin d’empêcher l’envasement du « Chenal », entreprise bénéfique pour tout le littoral. Il y avait également une vie propre au port, en dehors même du trafic des bateaux, vrai lieu de promenades, on ne peut plus agréables.
Actuellement, cette zone de Cayenne est étiquetée « quartier du vieux port » et beaucoup d’avantages y sont manifestement supprimés.
A la poésie succède l’affairisme. Au rêve, l’indifférence.

De cet ensemble, il ne reste plus qu’un « parapet ». O dérision !…
A proximité, perdure toutefois le « Marché », avec son particularisme inchangé mais un achalandage démultiplié. Et, plus loin, le « canal Laussat », du nom de son instigateur (un « Gouverneur » d’antan) le Baron de Laussat.
Qui croirait aujourd’hui que le fond de ce canal est carrelé, comme nous avons pu le constater nous-mêmes de nos propres yeux en 1943 ?
A l’examiner aujourd’hui, comment ne pas se poser force questions ?

C’est ici qu’arrivaient, à l’époque, nombre de denrées en provenance de communes proches (Ti-Cayenne, Macouria, Tonnegrande, Montsinéry etc…). Des fruits et légumes que déchargeait et pesait Monsieur Fortuné, installé dans une guérite située en face de l’actuel « Leader Price », et que l’on affublait d’un surnom grandiloquent : « le Contrôleur ». Il vérifiait scrupuleusement chaque mois le bien fondé des balances de commerçants à qui il délivrait un reçu. Façon d’écarter les fraudes.
Par ailleurs, notre ravitaillement en viande était assuré, en partie, par des tapouilles brésiliennes en provenance de Macapa.
Il n’était pas rare de voir des bêtes fatiguées, excédées, en furie, déambuler dans Cayenne puis rattrapées par des Brésiliens munis de lassos. Nous en avions une peur panique.

Sur « la crique », l’activité était intense. Chaque commerçant avait sa boutique à côté. Des noms de ces derniers nous reviennent en mémoire tels : Robo, Sinaï, Constantin, Panelle..
Non loin, l’on pouvait apercevoir la Caserne des pompiers.
Nous traversions le « canal Laussat », grâce à des ponts, au nombre de cinq. Tandis qu’aujourd’hui ces derniers, dans un piteux état et devenus anonymes - puisque dénués de leurs plaques identitaires - sombrent dans l’oubli. Nous descendions ainsi sur l’autre rive (« rot bô crique »), surnommée le « Village Chinois », où vivaient effectivement, dans des maisons sur pilotis, des chinois et des Annamites.
Avec le plus grand sérieux, ils pratiquaient la pêche, à l'aide de leurs « barrières chinoises » laissées au large toute la nuit, dans une mer phosphorescente à plaisir, où ils allaient dans leurs barques originales munies d’avirons. Ces dernières faisaient notre admiration tant elles dégageaient de charme, de pittoresque, d’insolite et interpellaient notre imagination.
Le nom de « Village chinois » perdure, mais n’a plus de sens désormais.

Ici, Monsieur Constantin avait une fabrique de limonade. Il importait, par ailleurs, du gruyère qu’il découpait à l’aide d’un énorme couteau qui faisait peur aux enfants. Avec la chaleur, le roquefort dégoulinait au point qu’un récipient était nécessaire déjà à l’achat !
En face de sa maison de commerce se trouvait un bar où, tous les midis, nombre d’instituteurs de Cayenne allaient prendre le « punch », refaisant leur pays, voire le monde. D’où le charme incontesté, à l’époque, de « Rot bô crique ».

Ne passons pas sous silence la présence en ce lieu de différentes activités artisanales nécessaires à la population et qui faisaient le bonheur des personnes de passage en Guyane. Voire de petites et précieuses industries.
Citons notamment, après qu’il ait succédé à Jean Galmot en tant que directeur de la Maison Chiris à Saint-Laurent, la scierie d’Aimé Bonneton dont la maison de commerce était aussi importante que celle de Tanon, d’autant que cet industriel et bras droit de Gaston Monerville était en étroit contact avec les Etats Unis et la France métropolitaine (du courrier lui était encore envoyé de ces contrées dix ans après sa mort !).
Cette scierie occupant l’emplacement actuel des « Etablissements Weco » était destinée à des créations locales originales, outre son importance en matière de fourniture de bois de construction (entre autres, le Pavillon de la Guyane construit en 1935, à l’occasion de la commémoration du tricentenaire).

Monsieur Karanza avait une tannerie à la rue Daramathe, parallèle au canal Laussat, devenue la rue du Docteur Henri. Là se trouvait également l’Institut prophylactique destiné essentiellement aux vaccinations. Cet homme achetait toutes les peaux de l’abattoir, à deux pas de là. Il faisait bon de passer au large de ses ateliers à cause des odeurs nauséabondes qui s’en dégageaient, les séchoirs électriques n’existant pas encore… !

N’oublions pas, en ce lieu, Monsieur Auguste Henri Mériaux, « maréchal-ferrant », agréé auprès de la Gendarmerie Nationale dont il traitait les chevaux. Monsieur Mériaux fabriquait aussi des balcons en fer forgé, ceux des belles maisons créoles d’antan….
Ajoutons qu’à la même époque il y avait fort peu de voitures. Qu’aussi bien, les marchandises (y compris bois et charbon) étaient transportées dans des charettes à chevaux, guidées par des arabes libérés, au comportement irréprochable. Leur labeur terminé, ils garaient soigneusement les charettes à l’emplacement actuel de la dite « Gare routière ».

A la même époque, il y avait dans ce quartier de Cayenne de nombreux manguiers aux fruits succulents, abritant quelques bancs et dispensant une ombre largement appréciée des promeneurs, de même que des plantations où dominaient arbres fruitiers et tamariniers, pour le plaisir des enfants, aux grandes vacances !

Non loin, au niveau de la rue Ernest Prévot, il y avait la première « usine électrique » (dite « municipale ») construite en 1920, fonctionnant au bois et éclairant Cayenne à partir de dix-huit heures, moment où les enfants devaient impérativement rentrer chez eux. Curiosité : le montant de la facture d’électricité était évalué au nombre d’ampoules !
Mais, que de fois nous arrivait-il d’étudier nos leçons à la lumière de lampes à pétrole, voire de la lune !…
Vers 1970 disparut notre chère « usine électrique », dont il est dit que l’emplacement serait réservé à la construction d’un immeuble administratif, projet salué comme bien venu du fait qu’il permettrait à ce quartier d’être rénové et donc mis en valeur.

Cette évocation de notre « rot bô crique » n’est qu’un vain rappel de souvenirs par trop enfouis et sans intérêt, hélas, pour de nouvelles générations. Nous en avons une claire conscience.

Rendons hommage à ce quartier dont l’attrait d’antan était incontestable. Doué d’une âme, il n’échappe pas à la nostalgie de l’ancienne Guyane.
Que de morts, revenus, pourraient pourtant à son propos nous édifier, nous donner des leçons de modestie et nous abreuver de leur vaste savoir.
Que d’ombres du passé, dont nous ne soupçonnons pas la richesse intrinsèque, nous y côtoient.


André Bonneton
Mars 2009


* Docteur en médecine et neuropsychiatre, ayant principalement exercé à Paris, André Bonneton est né à Cayenne le 3 janvier 1925. Auteur de nombreux ouvrages (poésies, romans, nouvelles, théâtre...), il a aussi animé de nombreuses conférences, dont un hommage à la mémoire de Victor Schoelcher au Panthéon national le 13 juin 1981, sur la demande et en présence de son ami intime Gaston Monerville.

Poésies :
Etoiles amères (Ed. Dehan) Prix Antonin Artaud en 1951.
Aquilon (Ed. la licorne) 1952.
Echo (Ed. Subervie) 1966.
Mage (Ed. Grassin) 1973.
Armoiries (Ed. Fagne) 1976.
A paraître: Wélélé.

Nouvelles :
Le grand hôtel de la rue Moche (ed. la licorne) 1960.
J'suis Breton (Ed. Ibis rouge) 2005.
Les témoins.
Un rat dans l'huile.
Noël à Montjoly.
Etc...

Romans :
La lèpre (Ed. Subervie)
La condamnation.
Ma fiancée.
L'A-métamorphose.
A paraître: Le cas K, La surenchère.

Policier :
Crimes parfaits au Touquet.

Théâtre:
Les trachiniennes.
Par où le bât blesse.
La boucle.
Salambo.
Etc...

Etudes:
Naufrage prophétique d'Antonin Artaud (Ed. Lefevre)
Gaston Monnerville, fils de Guyane (Ed. presses internationales indépendantes).
As-tu lu Céline? (Ed. Malherbe)
A paraître: Gaston Monerville intime.
L'alchimie d'Artaud.


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